“Te caches-tu de tes enfants et d’Estelle pour me lire, aux toilettes, la nuit très tard, dès qu’ils ont le dos tourné ? Ou bien tiens-tu Monsieur comme on tient un SAS, négligemment, les doigts enduits d’huile solaire ? Suis-je déjà cornée, craquelante du sable que tes bambins m’ont envoyé entre les pages en jouant au beach-ball ? Ai-je enfin réussi, à ma manière, à pénétrer un peu de vos vacances en famille ?Est-ce que tu as peur ? Quelle est la part de haine dans toutes les émotions, contradictoires sans doute, que je t’inspire de manière – disons – posthume ?Est-ce que tu te souviens de tout ?Y compris de ce jour ?”
“Nabokov n’a jamais évoqué ce qui pouvait bien se passer dans la tête de Lo lorsqu’elle s’est assise sur Humbert Humbert ce pâle petit matin d’été. Ni pourquoi, quelques pages plus tôt, elle sautait sur ses genoux en maltraitant sa pomme, culotte aux quatre vents, gazouillant à l’envi pendant que son coupable adorateur tentait de contenir discrètement une effusion quasi adolescente. C’est cette lecture parallèle qui m’a manqué, l’impossibilité de savoir ce qu’il serait advenu de l’histoire si on y avait laissé parler Lolita.”
“Parce qu'il faut bien le dire, le sexe dans ses bras est un immense et luxuriant espace de jeu où rien, mais absolument rien, n'est interdit. J'ai l'impression de gambader toute nue au milieu d'herbes hautes infiniment plus douces que le plus doux des gazons, sous un ciel parfait, et Monsieur me pousse pour que j'atteigne des sommets inédits sur une balançoire née des pinceaux de Fragonard – et bien sûr je ne vais pas dire que je suis tout à fait tranquille en voyant le sol s'éloigner de plus en plus, mais l'ivresse est si grisante, mon Dieu, l'abandon si poignant que je ferme les yeux avec une envie insoutenable de pleurer de plaisir, mise au supplice par ce besoin que j'ai d'exprimer à quel point ce que je ressens est merveilleux, incapable de trouver ne serait-ce que des lettres pour illustrer ce sentiment; puis lorsque je suis à moitié folle d'excitation Monsieur m'entraîne à me plonger dans des marais sombres exhalant de suaves et scandaleuses vapeurs de soufre, dont l'eau est d'une chaleur obscène, et dans lesquels je me perds, orteil après orteil. Autour de nous le paysage est devenu plus inquiétant, je sais que je suis sur un territoire que Monsieur connaît par cœur, et qu'il va lui falloir me porter dans ces petits chemins de traverse que je ne soupçonnais qu'à peine. Lentement, inéluctablement je glisse dans les ornières les moins débroussaillées, et certes ma petite balançoire fleurie est loin, mais qu'il fait chaud et moite sous les ramures de ces arbres morts, plus près de l'enfer que je l'ai jamais été !...”