“Je puis nier une chose sans me croire obligé de la salir ou de retirer aux autres le droit d'y croire.”
“Quelle bouillie, quelle bouillie ! Il faut mettre de l'ordre dans ma tête. Depuis qu'ils m'ont coupé la langue, une autre langue, je ne sais pas, marche sans arrêt dans mon crâne, quelque chose parle, ou quel-qu'un, qui se tait soudain et puis tout recommence ô j'entends trop de choses que je ne dis pourtant pas, quelle bouillie, et si j'ouvre la bou-che, c'est comme un bruit de cailloux remués. De l'ordre, un ordre, dit la langue, et elle parle d'autre chose en même temps, oui j'ai toujours désiré l'ordre !!”
“Mais le narrateur est plutôt tenté de croire qu’en donnant trop d’importance aux belles actions, on rend finalement un hommage indirect et puissant au mal. Car on laisse supposer alors que ces belles actions n’ont tant de prix que parce qu’elles sont rares et que la méchanceté et l’indifférence sont des moteurs bien plus fréquents dans les actions des hommes. C’est là une idée que le narrateur ne partage pas. Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l’ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n’est pas éclairée. Les hommes sont plutôt bons que mauvais, et en vérité ce n’est pas la question. Mais ils ignorent plus ou moins, et c’est ce qu’on appelle vertu ou vice, le vice le plus désespérant étant celui de l’ignorance qui croit tout savoir et qui s'autorise alors a tuer. L'âme du meurtrier est aveugle et il n’y a pas de vraie bonté ni de belle amour sans toute la clairvoyance possible.”
“J'ai souvent pensé alors que si l'on m'avait fait vivre dans un tronc d'arbre sec, sans autre occupaion que de regarder la fleur du ciel au-dessus de ma tête, je m'y serais peu à peu habitué. J'aurais attendu des passages d'oiseaux ou de rencontres de nuages comme j'attendais ici les curieuses cravates de mon avocat et comme, dans un autre monde, je patientais jusqu'au samedi pour étreindre le corps de Marie.”
“Jeune , je demandais aux êtres plus qu'ils ne pouvaient donner : une amitié continuelle , une émotion permanente. Je sais leur demander maintenant moins qu'ils peuvent donner : une compagnie sans phrases . Et leurs émotions , leur amitié , leurs gestes nobles gardent à mes yeux leur valeur entière de miracle : un entier effet de la grâce .”
“On m’a dit un jour : « C’est si difficile de vivre. » Et je me souviens du ton. Une autre fois, quelqu’un a murmuré : « La pire erreur, c’est encore de faire souffrir. » Quand tout est fini, la soif de vie est éteinte. Est-ce là ce qu’on appelle le bonheur ? En longeant ces souvenirs, nous revêtons tout du même vêtement discret et la mort nous apparaît comme une toile de fond aux tons vieillis. Nous revenons sur nous-mêmes. Nous sentons notre détresse et nous en aimons mieux. Oui, c’est peut-être cela le bonheur, le sentiment apitoyé de notre malheur.”
“Dans les épaisseurs de la nuit sèche et froide, des milliers d'étoiles se formaient sans trêve et leurs glaçons étincelants, aussitôt détachés, commençaient de glisser insensiblement vers l'horizon. Janine ne pouvait s'arracher à la contemplation de ces feux à la dérive. Elle tournait avec eux et le même cheminement immobile la réunissait peu à peu à son être le plus profond, où le froid et le désir maintenant se combattaient. Devant elle, les étoiles tombaient, une à une, puis s'éteignaient parmi les pierres du désert, et à chaque fois Janine s'ouvrait un peu plus à la nuit. Elle respirait, elle oubliait le froid, le poids des êtres, la vie démente ou figée, la longue angoisse de vivre et de mourir.”