“Non, ce n'était pas moi qui comptais, ni le monde, mais seulement l'accord et le silence qui de lui à moi faisait naître l'amour.”
“J’admire qu’on puisse trouver au bord de la Méditerranée des certitudes et des règles de vie, qu’on y satisfasse sa raison et qu’on y justifie un optimisme et un sens social. Car enfin, ce qui me frappait alors ce n’était pas un monde fait à la mesure de l’homme - mais qui se refer-mait sur l’homme. Non, si le langage de ces pays s’accordait à ce qui résonnait profondément en moi, ce n’est pas parce qu’il répondait à mes questions, mais parce qu’il les rendait inutiles. Ce n’était pas des actions de grâces qui pouvaient me monter aux lèvres, mais ce Nada qui n’a pu naître que devant des paysages écrasés de soleil. Il n’y a pas d’amour de vivre sans désespoir de vivre.”
“Mécontent de tous et mécontent de moi, je voudrais bien me racheter et m’enorguiellir un peu dans le silence et la solitude de la nuit. Âmes de ceux que j’ai aimés, âmes de ceux que j’ai chantés, fortifiez-moi, éloignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptices du monde; et vous, Seigneur mon Dieu! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise.”
“Il eut même le temps de comparer les mérites respectifs de l'une et de l'autre et de faire ce choix sans conséquence pratique que font presque toujours les hommes en regardant les femmes. Darenski, qui cherchait à mettre la main sur le commandant de l'armée, qui se demandait si celui-ci lui donnerait les chiffres dont il avait besoin, qui se demandait où il pourrait trouver à manger et à dormir, qui aurait aimé savoir si la division où il devait se rendre n'était pas trop éloignée et si la route qui y menait n'était pas trop mauvaise, Darenski, donc, eut le temps de se dire pour la forme (mais quand même pas seulement pour la forme): 'Celle-là!' Et il advint qu'il n'alla pas chez le chef de l'état-major mais resta à jouer aux cartes.”
“Mais maintenant je dirai tout, afin que tu saches qui tu quittes, de quel homme tu te sépares. Sais-tu comment d’abord je t’ai comprise ? La passion m’a saisi comme le feu, elle s’est infiltrée dans mon sang comme le poison et a troublé toutes mes pensées, tous mes sentiments. J’étais enivré. J’étais comme étourdi, et à ton amour pur, miséricordieux, j’ai répondu non d’égal à égal, non comme si j’étais digne de ton amour, mais sans comprendre ni sentir. Je ne t’ai pas comprise. Je t’ai répondu comme à la femme qui, à mon point de vue, s’oubliait jusqu’à moi et non comme à celle qui voulait m’élever jusqu’à elle.« Sais-tu de quoi je t’ai soupçonnée, ce que signifiait, s’oublier jusqu’à moi » ? Mais non, je ne t’offenserai pas par mon aveu. Je te dirai seulement que tu t’es profondément trompée sur moi ! Jamais jamais, je n’aurais pu m’élever jusqu’à toi. Je ne pouvais que te contempler dans ton amour illimité, une fois que je t’eus comprise. Mais cela n’efface pas ma faute. Ma passion rehaussée par toi n’était pas l’amour. L’amour, je ne le craignais pas. Je n’osais pas t’aimer. Dans l’amour il y a réciprocité, égalité ; et j’en étais indigne. Je ne savais pas ce qui était en moi !”
“La phrase : "Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m'est étranger" me semble être, sinon le dernier mot de la sagesse, en tout cas l'un des plus profonds, et ce que j'aime chez Etienne, c'est qu'il le prend à la lettre, c'est même ce qui selon moi lui donne le droit d'être juge. De ce qui le fait humain, pauvre, faillible, magnifique, il ne veut rien retrancher, et c'est aussi pourquoi dans le récit de sa vie je ne veux, moi, rien couper.”