“Quelle bouillie, quelle bouillie ! Il faut mettre de l'ordre dans ma tête. Depuis qu'ils m'ont coupé la langue, une autre langue, je ne sais pas, marche sans arrêt dans mon crâne, quelque chose parle, ou quel-qu'un, qui se tait soudain et puis tout recommence ô j'entends trop de choses que je ne dis pourtant pas, quelle bouillie, et si j'ouvre la bou-che, c'est comme un bruit de cailloux remués. De l'ordre, un ordre, dit la langue, et elle parle d'autre chose en même temps, oui j'ai toujours désiré l'ordre !!”

Albert Camus

Albert Camus - “Quelle bouillie, quelle bouillie ! Il...” 1

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“La misère est ici une matière, me dit Gérard. Je suis étonné de l'accepter comme tout le monde. Avant de m'y intégrer complètement, le ressentiment contre les spoliateurs m'étouffait. Je ne rêvais plus que d'explosifs et de sabotages au risque d'en périr, avec même l'espoir d'en périr. Mais lorsque je rejoignais les miens, tout cela se dissipait. Je ne suis pas dupe de moi-même : fils d'officier supérieur, bien pouvur en diplômes, mon choix est un artifice, un luxe inverse. Quelqu'un m'a dit que les nantis peuvent en plus s'offrir de la bonne conscience comme on s'offre un vêtement de soie ou une pierre précieuse. Il n'a pas tout à fait tort. Je ne sais qu'une chose avec clarté : je n'accepte pas le monde tel qu'il est. J'ai en moi, de ce fait, une insurrection permanente avec laquelle je dois composer. Dans mon labyrinthe, trois issues : la première, faire ce pour quoi j'ai été programmé : bon salaire, petite famille, l'ordre !?... Deuxième issue : la révolte ouverte dont je sens les prémices en sourde germination. J'apparaîtrai alors comme porteur d'idées rouges et il n'y a pas de pire répression que celle qui vous catalogue, elle vous enferme dans votre casier et c'est de nouveau l'ordre. Troisième issue : la sublimation, on est secourable. Dans le naufrage général, on prête un coin de son épave à d'autres pour une idée censée transcender, cela est aussi une cohérence, j'y trouve mon compte, faute de mieux. Je viens aux hommes dont je m'occupe pour être aidé. C'est du troc, voilà tout.”

Pierre Rabhi
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“Je fus encore une fois surprise par la vue de mon visage dans la glace: il n'avait rien à voir avec mes décombres. Ce n'était pas un visage de vaincu. Marqué par la fatigue, mais au fond des yeux il restait encore quelque chose. Je ne dis pas : quelque chose d'invincible. Et pourtant, peut-être y a-t-il invincibilité. Les hommes oublient toujours que ce qu'ils vivent n'est pas mortel.”

Romain Gary
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“Mais ce que je ne savais pas, c'est qu'il n'est pas bon de laisser la mort se promener trop longtemps à visage découvert sur la terre. Je ne savais pas... Elle émeut, elle éveille la mort encore endormie au fond des autres, comme un enfant dans le ventre d'une femme. Et comme quand une femme rencontre une femme grosse - même si elle détourne la tête, tout au fond d'eux-mêmes, si l'on descendait, on les sentirait complices... Oui, c'est leur mort tout d'un coup qui bouge en eux.”

Julien Gracq
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“Ma langue maternelle fut une langue infirme. Ce patois judéo-arabe de Tunis, truffé de mots hébreux, italiens, français, mal compris des Musulmans, totalement ignoré des autres, m'abondonnais dès que je quittais les ruelles du ghetto. Au-delà des émotions simples, du boire et du manger, dans cet univers politique, technique et intellectuel que je rêvais de conquérir, il perdait tout efficacité. Par bonheur, l'école primaire me fit don du français. C'était un cadeau intimidant, exigeant et difficile à manier; c'était en outre la langue du Colonisateur. Mais précisément, ce superbe instrument, magnifiquement au point, exprimait tout et ouvrait toutes les portes. Le degré de culture, le prestige intellectuel, la réussite sociale se mesurait à l'assurance dans le maniement de la langue du vainqueur. J'acceptai joyeusement le pari et l'enjeu: avec ma mère, qui ne comprenait pas le français,je parlerais la langue de mon enfance; dans la rue, dans ma profession, je serais un Occidental. C'était affaire d'organisation intérieure. Après tout, je ne serais pas le seul homme sur terre à ne pas connaitre une parfaite unité.”

Albert Memmi
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“Ah! je voulais te dire aussi, n'aie pas peur de leur sabir. Le sabir du pauvre d'aujourd'hui, c'est l'argot du pauvre d'hier, ni plus ni moins. Depuis toujours le pauvre parle argot. Sais-tu pourquoi? Pour faire croire au riche qu'il a quelque chose à lui cacher. Il n'a rien à cacher, bien sûr, il est beaucoup trop pauvre, rien que des petits trafics par-ci par-là, des broutilles, mais il tient à faire croire que c'est un monde entier qu'il cache, un univers qui nous serait interdit, et si vaste qu'il aurait besoin de toute une langue pour l'exprimer. Mais il n'y a pas de monde, bien sûr, et pas de langue. Rien qu'un petit lexique de connivence, histoire de se tenir chaud, de camoufler le désespoir.”

Daniel Pennac
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