“Ma langue maternelle fut une langue infirme. Ce patois judéo-arabe de Tunis, truffé de mots hébreux, italiens, français, mal compris des Musulmans, totalement ignoré des autres, m'abondonnais dès que je quittais les ruelles du ghetto. Au-delà des émotions simples, du boire et du manger, dans cet univers politique, technique et intellectuel que je rêvais de conquérir, il perdait tout efficacité. Par bonheur, l'école primaire me fit don du français. C'était un cadeau intimidant, exigeant et difficile à manier; c'était en outre la langue du Colonisateur. Mais précisément, ce superbe instrument, magnifiquement au point, exprimait tout et ouvrait toutes les portes. Le degré de culture, le prestige intellectuel, la réussite sociale se mesurait à l'assurance dans le maniement de la langue du vainqueur. J'acceptai joyeusement le pari et l'enjeu: avec ma mère, qui ne comprenait pas le français,je parlerais la langue de mon enfance; dans la rue, dans ma profession, je serais un Occidental. C'était affaire d'organisation intérieure. Après tout, je ne serais pas le seul homme sur terre à ne pas connaitre une parfaite unité.”