“Aujourd'hui, je suis fou de mort, partout la mort, et ces roses sur ma table qui me parfument tandis que j'écris, affreusement vivant, ces roses sont des bouts de cadavres qu'on force à faire semblant de vivre trois jours de plus dans de l'eau et les gens achètent ces cadavres de fleurs et les jeunes filles s'en repaissent.”
“Dans les rues, je suis l'obsédé de ma morte, mornement regardant tous ces agités qui ne savent pas qu'ils vont mourir et que le bois de leur cercueil existe déjà dans une scierie ou dans une forêt, vaguement regardant ces jeunes et fardés futurs cadavres femelles qui rient avec leurs dents, annonce et commencement de leur squelette, qui montrent leurs trente-deux petits bouts de squelette et qui s'esclaffent comme s'ils ne devaient jamais mourir.”
“Du joli, la passion dite amour. Si pas de jalousie, ennui. Si jalousie, enfer bestial. Elle une esclave, et lui une brute. Ignobles romanciers, bande de menteurs qui embellissaient la passion, en donnaient l'envie aux idiotes et aux idiots. Ignobles romanciers, fournisseurs et flagorneurs de la classe possédante. Et les idiotes aimaient ces sales mensonges, ces escroqueries, s'en nourissaient. ”
“Déjà, le mois de septembre, lendemain d'août et veille d'octobre et qui est par sa situation le plus émouvant des mois parsème les beaux jours de quelques fins avertissements. Déjà, on comprend ces feuilles mortes qui courent sur les pierres plates comme une bande de moineaux.”
“Quand on a fait la guerre, c'est à peine si on sait déjà ce que c'est qu'un mort. Et puis-qu'un homme mort n'a de poids que si on l'a vu mort, cent millions de cadavres semés à travers l'histoire ne sont qu'une fumée dans l'imagination.”
“Moi qui ai eu la chance, malgré quelques grosses séquelles, de me relever et de retrouver une autonomie totale, je pense souvent à cette incroyable période de ma vie et surtout à tous mes compagnons d’infortune. À part Samia, peut-être, je sais pertinemment que les autres sont toujours dans leurfauteuil, qu’ils sont contraints à une assistance permanente, qu’ils ont toujours droit aux sondages urinaires, aux transferts, aux fauteuils-douches, aux séances de verticalisation… Ils sont pour toujours confrontés à ces mots qui ont été mon quotidien, cette année-làJ’ai fait trois autres centres de rééducation par la suite, mais jamais je n’ai autant ressenti la violence de cette immersion dans le monde du handicap que lors de ces quelques mois. Jamais je n’ai retrouvé autant de malheur et autant d’envie de vivre réunis en un même lieu, jamais je n’ai croisé autant de souffrance et d’énergie, autant d’horreur et d’humour. Et jamais plus je n’ai ressenti autant d’intensité dans le rapport des êtres humains à l’incertitude de leur avenir .. Je ne connaissais rien de ce monde-là avant mon accident. Je me demande même si j’y avais déjà vraiment pensé. Bien sûr, cette expérience aussi difficile pour moi que pour mon entourage proche m’a beaucoup appris sur moi-même, sur la fragilité de l’existence (et celle des vertèbres cervicales). Personne d’autre ne sait mieux que moi aujourd’hui qu’une catastrophe n’arrive pas qu’aux autres, que la vie distribue ses drames sans regarder qui les mérite le plus .Mais, au-delà de ces lourds enseignements et de ces grandes considérations, ce qui me reste surtout de cette période, ce sont les visages et les regards que j’ai croisés dans ce centre. Ce sont les souvenirs de ces êtres qui, à l’heure où j’écris ces lignes, continuent chaque jour de mener un combat qu’ils n’ont jamais l’impression de gagner.Si cette épreuve m’a fait grandir et progresser, c’est surtout grâce aux rencontres qu’elle m’aura offertes.”
“J'ai regardé à ma montre, et j'ai calculé combien de temps il me restait à vivre ; j'ai vu que j'avais encore une heure à peine. Il me reste assez de papier sur ma table pour retracer à la hête tous les souvenirs de ma vie et toutes les circonstances qui ont influé sur cet enchaînement stupide et logique de jours et de nuits , de larmes et de rires, qu'on a coutume d'appeler l'existence d'un homme.”