“Il faut regarder la souffrance en face. S'il était Premier ministre, il obligerait les membres du gouvernement à passer une semaine dans une base de réservistes de Gaza ou d'Hébron, ou dans une maison d'arrêt du Néguev, ou à séjourner au moins deux jours dans le service psychiatrique d'un hôpital perdu ou à se tenir en embuscade une nuit entière, du coucher du soleil à l'aube, dans la boue et la pluie, en hiver, dans le périmètre de sécurité à la frontière libanaise. Ou encore à vivre dans l'intimité d'Eytan et de Warhaftig, dans cet enfer de l'avortement noyé sous les accords de piano et de violoncelle qui s'échappaient de l'étage supérieur. (p. 283)”
“Et si on faisait une trêve ? S'il montait le [le Premier ministre] réconforter et le distraire un peu de sa solitude ? Il pourrait passer la nuit à lui parler, d'homme à homme. Il se garderait de toute polémique, il ne lui reprocherait rien, ne le culpabiliserait pas mais se contenterait de deviser avec lui, comme avec un ami cher dont on s'efforce, gentiment, de dessiller les yeux, un ami que de mauvaises gens auraient induit en erreur sur une affaire épineuse, apparemment insoluble mais qui en réalité avait une solution simple, logique, équitable, que les détracteurs les plus acharnés devraient pouvoir accepter après une brève démonstration de son bien-fondé, dans une atmosphère cordiale et détendue. A condition évidemment de ne pas se buter, de ne pas s'abriter derrière un mur de grossiers mensonges, d'ouvrir les oreilles, d'envisager l'éventail des possibilités jusque-là résolument écartées, non par malice mais à cause de préjugés, de jugements inflexibles ou de craintes profondément enracinées. (p. 299)”
“La vérité est que chacun d'entre nous sait parfaitement ce que signifie la pitié et quel en est le mode d'emploi : nous l'avons tous implorée un jour ou l'autre. Mais au moment où il nous faut ouvrir la porte de la miséricorde, nous faisons comme si nous en avions perdu la clé, comme si avoir un peu de coeur revenait à humilier son prochain ou à manifester une sensiblerie démodée. (p.283)”
“Tant que les gens voyageront encore dans de lointains villages retirés où ils trouveront une petite chambre pour passer la nuit, tant qu'ils auront plaisir à se contenter de transports en commun et des vendeurs des qutre saisons, ils trouveront du réconfort dans de petites choses. Alexandra David-Néel, Lampe de sagesse (tirée du livre L'Art de la simplicité.”
“Bien sûr ces changements de comportement culturel et l'invention de mumltiples diversions font partie d'un système économique qui me dépase. J'envisage ce système comme un bain dans une piscine anémiée, stérile, bondée, puant le chlore, en comparaison d'une délicieuse baignade dans un lac au fond des bois, la berge du lac bordée de nénuphars en fleurs où sont perchées de petites tortues, un ou deux hérons dans les grands pins ou dans l'eau peu profonde, quelques serpents d'eau parmi les massifs d'ajoncs, et quand vous plongez vous voyez les poissons qui se reposent immobiles sous les bûches dressées. Même les profondeurs obscures semblent séduisantes en comparaison d'une piscine, comme une promenade printanière sous la pluie dans les bois en comparaison d'une série télévisée où des gens se font descendre ou tabasser à New York ou à Los Angeles tandis que des durs à cuire enchaînent d'insipides répliques soi-disant spirituelles.”
“La tournée terminée, Tom et Roger pensèrent qu'après le succès de I Shot The Sheriff, ce serait bien de descendre dans les Caraïbes pour continuer sur le thème du reggae. Ils organisèrent un voyage en Jamaïque, où ils jugeaient qu'on pourrait fouiner un peu et puiser dans l'influence roots avant d'enregistrer. Tom croyait fermement au bienfait d'exploiter cette source, et je n'avais rien contre puisque ça voulait dire que Pattie et moi aurions une sorte de lune de miel. Kingston était une ville où il était fantastique de travailler. On entendant de la musique partout où on allait. Tout le monde chantait tout le temps, même les femmes de ménage à l'hotel. Ce rythme me rentrait vraiment dans le sang, mais enregistrer avec les Jamaïcains était une autre paire de manches.Je ne pouvais vraiment pas tenir le rythme de leur consommation de ganja, qui était énorme. Si j'avais essayé de fumer autant ou aussi souvent, je serais tombé dans les pommes ou j'aurais eu des hallucinations. On travaillait aux Dynamic Sound Studios à Kingston. Des gens y entraient et sortaient sans arrêt, tirant sur d'énormes joints en forme de trompette, au point qu'il y avait tant de fumée dans la salle que je ne voyais pas qui était là ou pas. On composait deux chansons avec Peter Tosh qui, affalé sur une chaise, avait l'air inconscient la plupart du temps. Puis, soudain, il se levait et interprétait brillamment son rythme reggae à la pédale wah-wah, le temps d'une piste, puis retombait dans sa transe à la seconde où on s'arrêtait.”
“Si un danseur a la possibilité d'entrer dans le jeu politique, il refusera ostensiblement toutes les négociations secrètes (qui sont depuis toujours le terrain de jeu de la vraie politique) en les dénonçant comme mensongères, malhonnêtes, hypocrites, sales ; il avancera ses propositions publiquement, sur une estrade, en chantant, en dansant, et appellera nommément les autres à le suivre dans son action ; j'insiste : non pas discrètement (pour donner à l'autre le temps de réfléchir, de discuter des contrepropositions) mais publiquement, et si possible par surprise : "Êtes-vous prêt tout de suite (comme moi) à renoncer à votre salaire du mois de mars au profit des enfants de Somalie ?" Surpris, les gens n'auront que deux possibilités : ou bien refuser et ainsi se discréditer en tant qu'ennemis des enfants, ou bien dire "oui" dans un terrible embarras que la caméra devra malicieusement montrer (chapitre 6)”