“Le petit prince était maintenant tout pâle de colère.«Il y a des millions d'années que les fleurs fabriquent des épines. Il y a des millions d'années que les moutons mangent quand même les fleurs. Et ce n'est pas sérieux de chercher à comprendre pourquoi elles se donnent tant de mal pour se fabriquer des épines qui ne servent jamais à rien? Ce n'est pas important la guerre des moutons et des fleurs? Ce n'est pas sérieux et plus important que les additions d'un gros Monsieur rouge? Et si je connais, moi, une fleur unique au monde, qui n'existe nulle part, sauf dans ma planète, et qu'un petit mouton peut anéantir d'un seul coup, comme ça, un matin, sans se rendre compte de ce qu'il fait, ce n'est pas important ça?»Il rougit, puis reprit:«Si quelqu'un aime une fleur qui n'existe qu'à un exemplaire dans les millions d'étoiles, ça suffit pour qu'il soit heureux quand il les regarde. Il se dit: "Ma fleur est là quelque part..." Mais si le mouton mange la fleur, c'est pour lui comme si, brusquement, toutes les étoiles s'éteignaient! Et ce n'est pas important ça!»”
“Si quelqu'un aime une fleur qui n'existe qu'à un exemplaire dans les millions et les millions d'étoiles, ça suffit pour qu'il soit heureux quand il les regarde.”
“Mais à cette heure, où suis-je ? Et comment séparer ce café désert de cette chambre du passé. Je ne sais plus si je vis ou si je me souviens. Les lumières des phares sont là. Et l’Arabe qui se dresse devant moi me dit qu’il va fermer. Il faut sortir. Je ne veux plus descendre cette pente si dangereuse. Il est vrai que je regarde une dernière fois la baie et ses lumières, que ce qui monte alors vers moi n’est pas l’espoir de jours meilleurs, mais une indifférence sereine et primitive à tout et à moi-même. Mais il faut briser cette courbe trop molle et trop facile. Et j’ai besoin de ma lucidité. Oui, tout est simple. Ce sont les hommes qui compliquent les choses. Qu’on ne nous raconte pas d’histoires. Qu’on ne nous dise pas du condamné à mort : « Il va payer sa dette à la société », mais : « On va lui couper le cou. » Ça n’a l’air de rien. Mais ça fait une petite différence. Et puis, il y a des gens qui préfèrent regarder leur destin dans les yeux.”
“La chose dont je parle ici a une parenté avec le style, mais ne se ramène pas au seul style. C'est la griffe particulière et reconnaissable entre toutes qu'un écrivain appose à tout ce qu'il écrit. Ce n'est pas le talent. Le talent, ça court les rues. Mais un écrivain qui a une façon spéciale de voir les choses et qui donne une forme artistique à cette manière de voir est un écrivain qui a des chances de durer.”
“Je vois les choses comme ça : le travail n'est rien, juste un salaire. Ce qui compte c'est d'avoir la tête entre les pieds, le visage au ras du sol pour s'occuper d'en bas. Ce qui compte c'est de plier la nuque vers la terre, d'avoir pour elle plus d'attention que pour les hommes.Ainsi, pour le temps qui reste, il est bon d'avoir affaire aux autres, de se comprendre à fleur de visage, de se raser pour une femme, de combattre toute violence. (p. 29)”
“Il paraît qu'à soixante-dix ans, c'est le meilleur souvenir qu'il vous reste. Le sexe. C'est ma grand-mère qui m'a dit ça. Elle m'a dit, tu sais quand on a mon âge, les plus beaux souvenirs qu'il vous reste ce sont les nuits d'amour. C'est ses mots à elle, mais je sais bien ce que ça veut dire. Ça veut dire qu'il n'y a rien de tel, après avoir bien pris son pied, que de se coller contre un homme en lui tenant la bite encore toute chaude comme un petit écureuil endormi. Tricote-toi des souvenirs, elle me dit, ma grand-mère, alors moi, je fais comme elle me dit et je me tricote des souvenirs pour me faire des pulls et des pulls pour quand je serai vieille et que j'aurai toujours froid. Parce que les vieux, ils ont toujours froid. Ils ont froid de ne plus pouvoir vivre les choses. C'est ça, qui donne froid, c'est de plus pouvoir s'assouvir, de plus pouvoir se donner à fond à ce qu'on a envie de vivre.”