“L'ordre véritable c'est le temple. Mouvement du coeur de l'architecte qui noue comme une racine la diversité des matériaux et qui exige pour être un, durable et puissant, cette diversité même.”
“Mais je comprends aussi que rien de ce qui concerne l'homme ne se compte, ni ne se mesure. L'étendue véritable n'est point pour l'œil, elle n'est accordée qu'à l'esprit. Elle vaut ce que vaut le langage, car c'est le langage qui noue les choses. Il me semble désormais entrevoir mieux ce qu'est une civilisation. Une civilisation est un héritage de croyances, de coutumes et de connaissances, lentement acquises au cours des siècles, difficiles parfois à justifier par la logique, mais qui se justifient d'elles-mêmes, comme des chemins, s'ils conduisent quelque part, puisqu'elles ouvrent à l'homme son étendue intérieure. Une mauvaise littérature nous a parlé du besoin d'évasion. Bien sûr, on s'enfuit en voyage à la recherche de l'étendue. Mais l'étendue ne se trouve pas. Elle se fonde. Et l'évasion n'a jamais conduit nulle part. Quand l'homme a besoin, pour se sentir homme, de courir des courses, de chanter en chœur, ou de faire la guerre, ce sont déjà des liens qu'il s'impose afin de se nouer à autrui et au monde. Mais combien pauvres ! Si une civilisation est forte, elle comble l'homme, même si le voilà immobile.”
“Il me semble qu'ils confondent but et moyen ceux qui s'effraient par trop de nos progrès techniques. Quiconque lutte dans l'unique espoir de biens matériels, en effet, ne récolte rien qui vaille de vivre. Mais la machine n'est pas un but. L'avion n'est pas un but : c'est un outil, un outil comme la charrue.Si nous croyons que la machine abîme l'homme c'est que, peut-être, nous manquons un peu de recul pour juger les effets de transformations aussi rapides que celles que nous avons subies. Que sont les cent années de l'histoire de la machine en regard des deux cent mille années de l'histoire de l'homme? C'est à peine si nous nous installons dans ce paysage de mines et de centrales électriques. C'est à peine si nous commençons d'habiter cette maison nouvelle, que nous n'avons même pas achevé de bâtir. Tout a changé si vite autour de nous : rapports humains, conditions de travail, coutumes. Notre psychologie elle-même a été bousculée dans ses bases les plus intimes. Les notions de séparation, d'absence, de distance, de retour, si les mots sont demeurés les mêmes, ne contiennent plus les mêmes réalités. Pour saisir le monde aujourd'hui, nous usons d'un langage qui fut établi pour le monde d'hier. Et la vie du passé nous semble mieux répondre à notre nature, pour la seule raison qu'elle répond mieux à notre langage.Pour le colonial qui fonde un empire, le sens de la vie est de conquérir. Le soldat méprise le colon. Mais le but de cette conquête n'était-il pas l'établissement de ce colon? Ainsi dans l'exaltation de nos progrès, nous avons fait servir les hommes à l'établissement des voies ferrées, à l'érection des usines, au forage de puits de pétrole. Nous avions un peu oublié que nous dressions ces constructions pour servir les hommes.(Terre des Hommes, ch. III)”
“Le petit prince était maintenant tout pâle de colère.«Il y a des millions d'années que les fleurs fabriquent des épines. Il y a des millions d'années que les moutons mangent quand même les fleurs. Et ce n'est pas sérieux de chercher à comprendre pourquoi elles se donnent tant de mal pour se fabriquer des épines qui ne servent jamais à rien? Ce n'est pas important la guerre des moutons et des fleurs? Ce n'est pas sérieux et plus important que les additions d'un gros Monsieur rouge? Et si je connais, moi, une fleur unique au monde, qui n'existe nulle part, sauf dans ma planète, et qu'un petit mouton peut anéantir d'un seul coup, comme ça, un matin, sans se rendre compte de ce qu'il fait, ce n'est pas important ça?»Il rougit, puis reprit:«Si quelqu'un aime une fleur qui n'existe qu'à un exemplaire dans les millions d'étoiles, ça suffit pour qu'il soit heureux quand il les regarde. Il se dit: "Ma fleur est là quelque part..." Mais si le mouton mange la fleur, c'est pour lui comme si, brusquement, toutes les étoiles s'éteignaient! Et ce n'est pas important ça!»”
“Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je m'ennuie donc un peu. Mais, si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde ! Tu vois, là-bas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c'est triste ! Mais tu as des cheveux couleur d'or. Alors ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j'aimerai le bruit du vent dans le blé...”
“L'Avion est une machine sans doute, mais quel instrument d'analyse! Cet instrument nous a fait découvrir le vrai visage de la terre. Les routes, en effet, durant des siècles, nous ont trompés. Nous ressemblions à cette souveraine qui désira visiter ses sujets et connaître s'ils se réjouissaient de son règne. Ses courtisans, afin de l'abuser, dressèrent sur son chemin quelques heureux décors et payèrent des figurants pour y danser. Hors du mince fil conducteur, elle n'entrevit rien de son royaume, et ne sut point qu'au large des campagnes ceux qui mourraient de faim la maudissaient.(Terre des Hommes, ch. IV)”
“pour que tu sois libre de la liberté du chanteur qui improvise sur l'instrument à cordes, ne faut-il pas que je t'exerce d'abord les doigts et t'enseigne l'art du chanteur? Ce qui est guerre, contrainte et endurance.Et pour que tu sois libre de la liberté du montagnard, ne faut-il pas que tu aies exercé tes muscles, ce qui est guerre, contrainte et endurance?Et pour que tu sois libre de la liberté du poête, ne faut-il pas que tu aies exercé ton cerveau et forgé ton style, ce qui est guerre, contrainte et endurance?(chapitre CLII)”