“si tu examines mon empire tu t'en iras voir les forgerons et les trouveras forgeant des clous et se passionnant pour les clous et te chantant les cantiques de la clouterie. Puis tu t'en iras voir les bucherons et tu les trouveras abattant arbres et se passionnant pour l'abattage d'arbres, et se remplissant d'une intense jubilation à l'heure de la fête du bucheron, qui est du premier craquement, lorsque la majesté de l'arbre commence de se prosterner. Et si tu vas voir les astronaumes, tu les verras se passionnant pour les étoiles et n'écoutant plus que leur silence. Et en effet chacun s'imagine être tel. Maintenant si je te demande: "Que se passe-t-il dans mon empire, que naîtra-t-il demain chez moi?" tu me diras: "On forgera des clous, on abattra des arbres, on observera les étoiles et il y aura donc des réserves de clous, des réserves de bois et des observations d'étoiles." Car myope et le nez contre, tu n'as point reconnu la construction d'un navire.(chapitre CXVII)”

Antoine de Saint-Exupéry

Antoine de Saint-Exupéry - “si tu examines mon empire tu...” 1

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“Maintenant tu n'as plus de refuges. Tu as peur, tu attends que tout s'arrête, la pluie, les heures, le flot des voitures, la vie, les hommes, le monde, que tout s'écroule, les murailles, les tours, les planchers et les plafonds; que les hommes et les femmes, les vieillards et les enfants, les chiens, les chevaux, les oiseaux, un à un, tombent à terre, paralysés, pestiférés, épileptiques; que le marbre s'effrite, que le bois se pulvérise, que les maisons s'abattent en silence, que les pluies diluviennes dissolvent les peintures, disjoignent les chevilles des armoires centenaires, déchiquettent les tissus, fassent fondre l'encre des journaux; q'un feu sans flammes ronge les marches des escaliers; que les rues s'effondrent en leur exact milieu, découvrant le labyrinthe béant des égouts; que la rouille et la brume envahissent la ville.”

Georges Perec
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“Le petit prince était maintenant tout pâle de colère.«Il y a des millions d'années que les fleurs fabriquent des épines. Il y a des millions d'années que les moutons mangent quand même les fleurs. Et ce n'est pas sérieux de chercher à comprendre pourquoi elles se donnent tant de mal pour se fabriquer des épines qui ne servent jamais à rien? Ce n'est pas important la guerre des moutons et des fleurs? Ce n'est pas sérieux et plus important que les additions d'un gros Monsieur rouge? Et si je connais, moi, une fleur unique au monde, qui n'existe nulle part, sauf dans ma planète, et qu'un petit mouton peut anéantir d'un seul coup, comme ça, un matin, sans se rendre compte de ce qu'il fait, ce n'est pas important ça?»Il rougit, puis reprit:«Si quelqu'un aime une fleur qui n'existe qu'à un exemplaire dans les millions d'étoiles, ça suffit pour qu'il soit heureux quand il les regarde. Il se dit: "Ma fleur est là quelque part..." Mais si le mouton mange la fleur, c'est pour lui comme si, brusquement, toutes les étoiles s'éteignaient! Et ce n'est pas important ça!»”

Antoine de Saint-Exupéry
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“Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je m'ennuie donc un peu. Mais, si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde ! Tu vois, là-bas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c'est triste ! Mais tu as des cheveux couleur d'or. Alors ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j'aimerai le bruit du vent dans le blé...”

Antoine de Saint-Exupéry
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“On ne se doute pas de tous les embêtements dont sont poursuivis les domestiques, ni de l’exploitation acharnée, éternelle qui pèse sur eux. Tantôt les maîtres, tantôt les placiers, tantôt les institutions charitables, sans compter les camarades, car il y en a de rudement salauds. Et personne ne s’intéresse à personne. Chacun vit, s’engraisse, s' amuse de la misère d' un plus pauvre que soi. Les scènes changent ; les décors se transforment ; vous traversez des milieux sociaux différents et ennemis ; et les passions restent les mêmes, les mêmes appétits demeurent. Dans l’appartement étriqué du bourgeois, ainsi que dans le fastueux hôtel du banquier, vous retrouvez des saletés pareilles, et vous vous heurtez à de l’inexorable. Enfin de compte, pour une fille comme je suis, le résultat est qu’elle soit vaincue d' avance, où qu' elle aille et quoi qu' elle fasse. Les pauvres sont l’engrais humain où poussent les moissons de vie, les moissons de joie que récoltent les riches, et dont ils mésusent si cruellement, contre nous...”

Octave Mirbeau
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“Écoutant, en effet, les cris d'allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu'on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu'il peut rester pendant des dizaines d'années endormi dans les meubles et le linge, qu'il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait, où, pour le malheur et l'enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse.”

Camus
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