“H mange, cuits sous la cendre et extraits de leur coquille, avec une épingle de nourrice ôtée à son châle, les escargots de ses pierrailles, même les jaunes ou les roses qui ne sont pas comestibles. Mange les orties de son potager cueillies les mains nues. Mange les mûres de ses ronces qui retiennent quelques fragments de sa garde-robe. Mange les hérissons écrasés, nantis par ses soins d'un sarcophage de glaise aux fins de rôtissage. Arrache pour renflouer son grabat les flocons laissés par les moutons aux barbelés électrifiés, le courant ne lui fait rien.”
“(...) Marx explique que les droits de l'homme sont les droits de l'individu séparé de l'homme (...), c'est l'égoïsme de l'homme bourgeois, qui se meut selon ses intérêts individuels, l'homme séparé de sa communauté, de son passé, de sa classe, de son pays. Selon Marx, les droits de l'homme reflètent (...) le triomphe de l'individu et de ses intérêts à court terme sur son environnement, naturel et social.”
“Il y a des personnes à qui on n'ose donner d'autres marques de la passion qu'on a pour elles que par les choses qui ne les regardent point ; et, n'osant leur faire paraître qu'on les aime, on voudrait du moins qu'elles vissent que l'on ne veut être aimé de personne. L'on voudrait qu'elles sussent qu'il n'y a point de beauté, dans quelques rang qu'elle pût être, que l'on ne regardât avec indifférence, et qu'il n'y a point de couronne que l'on voulût acheter au prix de ne les voir jamais. Les femmes jugent d'ordinaire de la passion qu'on a pour elles, continua-t-il, par le soin qu'on prend de leur plaire et de les chercher ; mais ce n'est pas une chose difficile pour peu qu'elles soient aimables ; ce qui est difficile, c'est de ne s'abandonner pas au plaisir de les suivre ; c'est de les éviter, par peur de laisser paraître au public, et quasi à elles-mêmes, les sentiments que l'on a pour elles.”
“Il s’était tant de fois entendu dire ces choses, qu’elles n’avaient pour lui rien d’original. Emma ressemblait à toutes les maîtresses ; et le charme de la nouveauté, peu à peu tombant comme un vêtement, laissait voir à nu l’éternelle monotonie de la passion, qui a toujours les mêmes formes et le même langage. Il ne distinguait pas, cet homme si plein de pratique, la dissemblance des sentiments sous la parité des expressions. Parce que des lèvres libertines ou vénales lui avaient murmuré des phrases pareilles, il ne croyait que faiblement à la candeur de celles-là ; on en devait rabattre, pensait-il, les discours exagérés cachant les affections médiocres ; comme si la plénitude de l’âme ne débordait pas quelquefois par les métaphores les plus vides, puisque personne, jamais, ne peut donner l’exacte mesure de ses besoins, ni de ses conceptions, ni de ses douleurs, et que la parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles.”
“c'est (...) l'un des paradoxes de cette guerre : le côté irréprochable du gouvernement de Colombo qui, dans les zones qu'il a perdues, et ne serait-ce que pour ne pas s'avouer vaincu et avoir à prendre acte de la sécession, continue d'assurer les services publics, de payer les fonctionnaires, fussent-ils désignés par les Tigres et à leur botte.”
“Un livre taché d'encre, de café, de thé qui a viré à la rouille, de graisse, croustillant de miettes et parsemé de cils ou de cendres, s'il peut courroucer ou dégoûter un lecteur de passage, sera feuilleté avec bienveillance et tendresse par son propriétaire, car ces marques sont la preuve de l'étude passionnée et des heures de lutte énergique avec les feuilles et les mots. Plus on aime le livre et plus il se plisse, plus il s'épaissit de ces matières organiques. Les livres les moins attirants e sont-ils pas ces livres qui ne sont pas neufs mais à peine usagés, vendus à prix réduits, dont on sent qu'ils ont été lus sans amour puis revendus sans même avoir été abîmés?”