“Les heures passèrent. Même si la défense et la guerre n'avaient jamais été mon dada, la sécurité des vampires était hautement contextuelle et donc incroyablement intéressante. Il y avait des liens avec l'histoire (les vampires s'étaient fait baiser par le passé!), la politique (La Maison X nous avait baisé par le passé!), la philosophie (pourquoi croyez-vous qu'on nous avait baisé par le passé?) l'éthique (si nous ne buvions pas le sang des humains, nous serions-nous fait baiser par le passé?) et, bien-sûr, la stratégie (comment nous avait-on baisé? Comment pouvait-on éviter de nous faire baiser de nouveau ou, mieux encore, comment pouvions-nous les baiser en premier?)”
“La gare avait dû accueillir bien des baisers semblables, éperdus et passionnés ; des baisers d'autres sortes aussi. Baisers de commande d'époux mariés depuis vingt ans, baisers furtifs des liaisons clandestines et puis les plus nombreux, dont les fantômes flottaient tout autour de nous : les baisers manqués. Qui n'a pas été paralysé par l'hésitation, la peur du ridicule ou du rejet, la peur de savoir, la peur tout court, laissant filer l'instant et avec lui celui ou celle qu'il aimait sans avoir osé l'avouer, si bien que vingt ans après, l'on ressasse encore les gestes qui n'ont pas été faits, les mots qui n'ont pas été dits ?”
“Malgré les fanatiques, il serait extrêmement dangereux d'importer en France la thèse d'un «choc de civilisations» entre le monde musulman et nous. Ne faisons pas de l'Islam le miroir où toutes nos difformités s'effacent. Ne renouvelons pas l'erreur de nous forger un ennemi pour éviter de nous interroger sur nous-mêmes.Or, quel modèle proposons-nous ? Un monde dominé par l'argent et le sexe. Des sociétés dépolitisées, sans défense contre la montée des communautarismes. Des sociétés délaïcisées, où sévit l'alliance explosive de la religion et de la techno-science. Il nous faut retrouver une parole libre. Désigner haut et fort la menace que font peser les communautés, les identités collectives, les religions — toutes les religions —, sur la paix civile et la liberté individuelle. Refuser le scandale d'une pensée asservie à des dogmes. Osons être en toutes choses des athées résolus, méthodiques et gais.”
“Oh! tout ce que nous n'avons point fait et que pourtant nous aurions pu faire...penseront-ils, sur le point de quitter la vie. - Tout ce que nous aurions dû faire et que pourtant nous n'avons point fait! par souci des considérants, par temporisation, par paresse, et pour s'être trop dit: "Bah! nous aurons toujours le temps." Pour n'avoir pas saisi le chaque jour irremplaçable, l'irretrouvable chaque instant. Pour avoir remis à plus tard la décision, l'effort, l'étreinte...L'heure qui passe est bien passée? -Oh! toi qui viendras, penseront-ils, sois plus habile: Saisis l'instant!”
“Une bouche close empêche les mouches d'entrer." Ce qui voulait dire que le silence nous préservait des mouches et nous évitait par la même occasion les ennuis politiques.”
“Les experts sont des fanatiques. Ils ne résolvent rien! Ils sont à la solde du système qui les emploie. Ils le perpétuent. Quand nous nous ferons torturer, ce sera par des experts. Quand nous serons pendus, ce sera par des experts. (...) Quand le monde sera détruit, ce ne sera pas par des fous, mais par de sages experts et par l'ignorance incommensurable des bureaucrates. (chapitre 10)”
“Il me semble qu'ils confondent but et moyen ceux qui s'effraient par trop de nos progrès techniques. Quiconque lutte dans l'unique espoir de biens matériels, en effet, ne récolte rien qui vaille de vivre. Mais la machine n'est pas un but. L'avion n'est pas un but : c'est un outil, un outil comme la charrue.Si nous croyons que la machine abîme l'homme c'est que, peut-être, nous manquons un peu de recul pour juger les effets de transformations aussi rapides que celles que nous avons subies. Que sont les cent années de l'histoire de la machine en regard des deux cent mille années de l'histoire de l'homme? C'est à peine si nous nous installons dans ce paysage de mines et de centrales électriques. C'est à peine si nous commençons d'habiter cette maison nouvelle, que nous n'avons même pas achevé de bâtir. Tout a changé si vite autour de nous : rapports humains, conditions de travail, coutumes. Notre psychologie elle-même a été bousculée dans ses bases les plus intimes. Les notions de séparation, d'absence, de distance, de retour, si les mots sont demeurés les mêmes, ne contiennent plus les mêmes réalités. Pour saisir le monde aujourd'hui, nous usons d'un langage qui fut établi pour le monde d'hier. Et la vie du passé nous semble mieux répondre à notre nature, pour la seule raison qu'elle répond mieux à notre langage.Pour le colonial qui fonde un empire, le sens de la vie est de conquérir. Le soldat méprise le colon. Mais le but de cette conquête n'était-il pas l'établissement de ce colon? Ainsi dans l'exaltation de nos progrès, nous avons fait servir les hommes à l'établissement des voies ferrées, à l'érection des usines, au forage de puits de pétrole. Nous avions un peu oublié que nous dressions ces constructions pour servir les hommes.(Terre des Hommes, ch. III)”