“Ah ! qu'elle se rende, mais qu'elle combatte ; que, sans avoir la force de vaincre, elle ait celle de résister ; qu'elle savoure à loisir le sentiment de sa faiblesse, et soit contrainte d'avouer sa défaite.”
“Coup d'œil dans la vitrine d'une bijouterie, pleine d'or et de réveils. C'est entre effroi et amusement. Sa propre allure. Elle ressemble à d'autres filles qu'elle. Jamais auparavant elle n'avait cru que c'était possible, sortir comme ça et que personne ne s'exclame : « Mais qu'est-ce que c'est que cette imposture ? » Cette allure qu'elle a, jambes sublimées, silhouette transformée. Et personne ne se rend compte qu'elle n'est pas du tout comme ça. C'est la première fois qu'elle comprend, qu'en fait aucune fille n'est comme ça.”
“VoisineJe peux rester des après-midi entiers à regarder cette fille, caché derrière mon rideau. Je me demande ce qu'elle peut écrire sur son ordinateur. A quoi elle pense quand elle regarde par la fenêtre. Je me demande ce qu'elle mange, ce qu'elle utilise comme dentifrice, ce qu'elle écoute comme musique. Un jour, je l'ai vue danser toute seule. Je me demande si elle a des frères et sœurs, si elle met la radio quand elle se lève le matin, si elle préfère l'Espagne ou l'Italie, si elle garde son mouchoir en boule dans sa main quand elle pleure et si elle aime Thomas Bernhard. Je me demande comment elle dort et comment elle jouit. Je me demande comment est son corps de près. Je me demande si elle s'épile ou si au contraire elle a une grosse toison. Je me demande si elle lit des livres en anglais. Je me demande ce qui la fait rire, ce qui la met hors d'elle, ce qui la touche et si elle a du goût. Qu'est-ce qu'elle peut bien en penser, cette fille, de la hausse du baril de pétrole et des Farc, et que dans trente ans il n'y aura sans doute plus de gorilles dans les montagnes du Rwanda ? Je me demande à quoi elle pense quand je la vois fumer sur son canapé, et ce qu'elle fume comme cigarettes. Est-ce que ça lui pèse d'être seule ? Est-ce qu'elle a un homme dans sa vie ? Et si c'est le cas, pourquoi c'est elle qui va toujours chez lui ? Pourquoi il n'y a jamais d'homme chez elle ? Je me demande comment elle se voit dans vingt ans. Je me demande quel sens elle donne à sa vie. Qu'est-ce qu'elle pense de sa vie quand elle est comme ça, toute seule, chez elle ? Si ça se trouve, elle n'a aucun intérêt, cette fille.”
“Mireille se retourne enfin. Effectivement, elle mastique quelque chose, mais sa bouche suinte d'une substance rouge qui ne peut être que du sang. La vendeuse croit pendant une seconde qu'elle s'est blessée, mais comprend son erreur en voyant sa cliente porter le livre de verre à ses lèvres et mordre à pleines dents dans la première page à moitié cassée. La vitre craque et se brise, et Mireille se remet à mâcher lentement les morceaux coupants, les yeux égarés, en laissant choir des miettes de vitre et de chair.”
“La folie suprême n'est-elle pas de voir la vie telle qu'elle est et non telle qu'elle devrait être?”
“On dirait qu'elle apaise sa faim comme si elle lui enduisait l'âme de confiture.”