“Les tentatives faites pour connaître la richesse et l'originalité des cultures humaines, et pour les réduire à l'état de répliques inégalement arriérées de la civilisation occidentale, se heurtent à une autre difficulté, qui est beaucoup plus profonde : en gros (et exception faite de l'Amérique, sur laquelle nous allons revenir), toutes les sociétés humaines ont derrière elles un passé qui est approximativement du même ordre de grandeur. Pour traiter certaines sociétés comme des "étapes" du développement de certaines autres, il faudrait admettre qu'alors que, pour ces dernières, il se passait quelque chose, pour celles-là il ne se passait rien - ou fort peu de choses. Et en effet, on parle volontiers des "peuples sans histoire" (pour dire parfois que ce sont les plus heureux). Cette formule elliptique signifie seulement que leur histoire est et restera inconnue, mais non qu'elle n'existe pas. Pendant des dizaines et même des centaines de millénaires, là-bas aussi, il y a eu des hommes qui ont aimé, haï, souffert, inventé, combattu. En vérité, il n'existe pas de peuples enfants ; tous sont adultes, même ceux qui n'ont pas tenu le journal de leur enfance et de leur adolescence. (p. 24-25)”

Claude Levi-Strauss

Claude Lévi-Strauss - “Les tentatives faites pour...” 1

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“Nous allons te parler de gens qui vivaient en notre temps, soit il y a plus de cent ans, et ne sont guère plus pour toi que des noms inscrits sur des croix inclinées ou des pierres tombales fissurées. D'une vie et de souvenirs qui ont disparu en vertu de l'implacable loi du temps. En cela, nous allons le changer. Nos paroles sont telles des brigades de sauveteurs qui jamais ne renoncent à leur quête, leur but est d'arracher des événements passés et des vies éteintes au trou noir de l'oubli et cela n'a rien d'une petite entreprise, mais il se peut aussi qu'elles glanent en chemin quelques réponses et qu'elles nous délivrent de l'endroit où nous nous tenons avant qu'il ne soit trop tard. Contentons-nous de cela pour l'instant, nous t'envoyons ces mots, ces brigades de sauveteurs désemparées et éparses. Elles sont incertaines de leur rôle, toutes les boussoles sont hors d'usage, les cartes de géographie déchirées ou obsolètes, mais réserve-leur tout de même bon accueil. Ensuite, nous verrons bien. (p. 4)”

Jón Kalman Stefánsson
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“Le plaisir sexuel n'était pas seulement supérieur, en raffinement et en violence, à tous les autres plaisirs que pouvait comporter la vie; il n'était pas seulement l'unique plaisir qui ne s'accompagne d'aucun dommage pour l'organisme, mais qui contribue au contraire à le maintenir à son plus haut niveau de vitalité et de force; il était l'unique plaisir, l'unique objectif en vérité de l'existence humaine, et tous les autres - qu'ils soient associés aux nourritures riches, au tabac, aux alcools ou à la drogue - n'étaient que des compensations dérisoires et désespérées, des mini-suicides qui n'avaient pas le courage de dire leur nom, des tentatives pour détruire plus rapidement un corps qui n'avait plus accès au plaisir unique.”

Michel Houellebecq
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“il existait sans doute entre les inquiétes créatures humaines des répulsions et des haines surgies du plus profond de leur nature, et qui, le jour où il ne serait plus de mode de s'exterminer pour cause de religion, se donneraient cours autrement.(La promenade sur la dune)”

Marguerite Yourcenar
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“Il y a encore de certains devoirs à remplir envers même de qui nous avons reçu une injure; car la vengeance et la punition ont aussi leurs bornes. Je ne sais même si repentir de celui qui a fait l'injure ne suffirait pas et pour l'empêcher d'en faire une semblable à l'avenir et pour retenir les autres dans le devoir.”

Marcus Tullius Cicero
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“Je condamne l'ignorance qui règne en ce moment dans les démocraties aussi bien que dans les régimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu'on la dirait voulue par le système, sinon par le régime. J'ai souvent réfléchi à ce que pourrait être l'éducation de l'enfant. Je pense qu'il faudrait des études de base, très simples, où l'enfant apprendrait qu'il existe au sein de l'univers, sur une planète dont il devra plus tard ménager les ressources, qu'il dépend de l'air, de l'eau, de tous les êtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout détruire. Il apprendrait que les hommes se sont entre-tués dans des guerres qui n'ont jamais fait que produire d'autres guerres, et que chaque pays arrange son histoire, mensongèrement, de façon à flatter son orgueil. On lui apprendrait assez du passé pour qu'il se sente relié aux hommes qui l'ont précédé, pour qu'il les admire là où ils méritent de l'être, sans s'en faire des idoles, non plus que du présent ou d'un hypothétique avenir. On essaierait de le familiariser à la fois avec les livres et les choses ; il saurait le nom des plantes, il connaîtrait les animaux sans se livrer aux hideuses vivisections imposées aux enfants et aux très jeunes adolescents sous prétexte de biologie ; il apprendrait à donner les premiers soins aux blessés ; son éducation sexuelle comprendrait la présence à un accouchement, son éducation mentale la vue des grands malades et des morts. On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en société est impossible, instruction que les écoles élémentaires et moyennes n'osent plus donner dans ce pays. En matière de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout de celles du pays où il se trouve, pour éveiller en lui le respect et détruire d'avance certains odieux préjugés. On lui apprendrait à aimer le travail quand le travail est utile, et à ne pas se laisser prendre à l'imposture publicitaire, en commençant par celle qui lui vante des friandises plus ou moins frelatées, en lui préparant des caries et des diabètes futurs. Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses véritablement importantes plus tôt qu'on ne le fait. (p. 255)”

Marguerite Yourcenar
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