“L’imagination, l’illumination, la création, sans lesquelles le progrès des sciences n’aurait pas été possible, n’entraient dans la science qu’en catimini : elles n’étaient pas logiquement repérables, et toujours épistémologiquement condamnables. On en parlait dans les biographies des grands savants, jamais dans les manuels et les traités, dont pourtant la sombre compilation, comme les couches souterraines de charbon, était constituée par la fossilisation de la compression de ce qui, au premier chef, avait été fantaisies, hypothèses, prolifération d’idée, invention, découvertes.”
“Deux matelots s'étaient noyés, leurs corps n'avaient jamais été retrouvés et ils étaient allés rejoindre la foule des marins qui errent au fond de la mer, se plaignant entre eux de la lenteur du temps, attendant l'appel suprême que quelqu'un leur avait promis en des temps immémoriaux, attendant que Dieu les hisse vers la surface et les attrape dans son épuisette d'étoiles, qu'il les sèche de son souffle tiède et les laisse entrer à pied sec au royaume des cieux, là, il n'y a jamais de poisson aux repas, disent les noyés qui, toujours aussi optimistes, s'occupent en regardant la quille des bateaux, s'étonnent du nouveau matériel de pêche, maudissent les saloperies que l'homme laisse dans son sillage, mais parfois aussi, pleurent à cause de la vie qui leur manque, pleurent comme pleurent les noyés et voilà pourquoi la mer est salée. (p.199)”
“victor hugo, Les Contemplations, MorsJe vis cette faucheuse. Elle était dans son champ. Elle allait à grands pas moissonnant et fauchant, Noir squelette laissant passer le crépuscule. Dans l'ombre où l'on dirait que tout tremble et recule, L'homme suivait des yeux les lueurs de la faulx.Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux Tombaient ; elle changeait en désert Babylone, Le trône en échafaud et l'échafaud en trône, Les roses en fumier, les enfants en oiseaux,L'or en cendre, et les yeux des mères en ruisseaux. Et les femmes criaient : - Rends-nous ce petit être. Pour le faire mourir, pourquoi l'avoir fait naître ? -Ce n'était qu'un sanglot sur terre, en haut, en bas ; Des mains aux doigts osseux sortaient des noirs grabats ; Un vent froid bruissait dans les linceuls sans nombre ; Les peuples éperdus semblaient sous la faulx sombre Un troupeau frissonnant qui dans l'ombre s'enfuit ; Tout était sous ses pieds deuil, épouvante et nuit.Derrière elle, le front baigné de douces flammes, Un ange souriant portait la gerbe d'âmes.”
“Quel bonheur dans ce temps-là ! quelle liberté ! quel espoir ! quellle abondance d’illusions ! Il n’en restait plus maintenant ! Elle en avait dépensé à toutes les aventures de son âme, par toutes les conditions successives, dans la virginité, dans le mariage et dans l’amour ; - les perdant ainsi continuellement le long de sa vie, comme un voyageur qui laisse quelque chose de sa richesse à toutes les auberges de la route.Mais qui donc la rendait si malheureuse ? où était la catastrophe extraordinaire qui l’avait bouleversée ? Elle releva sa tête, regardant autour d’elle, comme pour chercher la cause de ce qui la faisait souffrir.”
“La gare avait dû accueillir bien des baisers semblables, éperdus et passionnés ; des baisers d'autres sortes aussi. Baisers de commande d'époux mariés depuis vingt ans, baisers furtifs des liaisons clandestines et puis les plus nombreux, dont les fantômes flottaient tout autour de nous : les baisers manqués. Qui n'a pas été paralysé par l'hésitation, la peur du ridicule ou du rejet, la peur de savoir, la peur tout court, laissant filer l'instant et avec lui celui ou celle qu'il aimait sans avoir osé l'avouer, si bien que vingt ans après, l'on ressasse encore les gestes qui n'ont pas été faits, les mots qui n'ont pas été dits ?”
“Les heures passèrent. Même si la défense et la guerre n'avaient jamais été mon dada, la sécurité des vampires était hautement contextuelle et donc incroyablement intéressante. Il y avait des liens avec l'histoire (les vampires s'étaient fait baiser par le passé!), la politique (La Maison X nous avait baisé par le passé!), la philosophie (pourquoi croyez-vous qu'on nous avait baisé par le passé?) l'éthique (si nous ne buvions pas le sang des humains, nous serions-nous fait baiser par le passé?) et, bien-sûr, la stratégie (comment nous avait-on baisé? Comment pouvait-on éviter de nous faire baiser de nouveau ou, mieux encore, comment pouvions-nous les baiser en premier?)”