“L'homme lutte contre la peur mais, contrairement à ce qu'on répète toujours, cette peur n'est pas celle de la mort, car la peur de la mort, tout le monde ne l'éprouve pas, certains n'ayant aucune imagination, d'autres se croyant immortels, d'autres encore espérant des rencontres merveilleuses après leur trépas ; la seule peur universelle, la peur unique, celle qui conduit toutes nos pensées, car la peur de n'être rien. Parce que chaque individu a éprouvé ceci, ne fût-ce qu'une seconde au cours d'une journée : se rendre compte que, par nature, ne lui appartient aucune des identités qui le définissent, qu'il aurait pu ne pas être doté de ce qui le caractérise, qu'il s'en est fallu d'un cheveu qu'il naisse ailleurs, apprenne une autre langue, reçoive une éducation religieuse différente, qu'on l'élève dans une autre culture, qu'on l'instruise dans une autre idéologie, avec d'autres parents, d'autres tuteurs, d'autres modèles. Vertige !”
“La dame de la Cour de cassation, c'est un arrêt qui tombe au printemps 2000 et qui dit que le juge ne peut pas relever d'office, c'est-à-dire de sa propre initiative, un manquement à la loi. On reconnaît la théorie libérale : on n'a pas plus de droit que celui qu'on réclame ; pour réparer un tort, il faut que celui qui l'a subi s'en plaigne. Dans le cas d'un litige entre un consommateur et un professionnel du crédit, si le consommateur ne se plaint pas du contrat, ce n'est pas au juge de le faire à sa place. Cela se tient dans la théorie libérale, dans la réalité le consommateur ne s'en plaint jamais, parce qu'il ne connaît pas la loi, parce que ce n'est pas lui qui a porté le litige en justice, parce que neuf fois sur dix il n'a pas d'avocat. Peu importe, dit la Cour de cassation, l'office du juge, c'est l'office du juge : il n'a pas à se mêler de ce qui ne le regarde pas ; s'il est scandalisé, il doit le rester en son for intérieur.”
“Mais ce que je ne savais pas, c'est qu'il n'est pas bon de laisser la mort se promener trop longtemps à visage découvert sur la terre. Je ne savais pas... Elle émeut, elle éveille la mort encore endormie au fond des autres, comme un enfant dans le ventre d'une femme. Et comme quand une femme rencontre une femme grosse - même si elle détourne la tête, tout au fond d'eux-mêmes, si l'on descendait, on les sentirait complices... Oui, c'est leur mort tout d'un coup qui bouge en eux.”
“N"ayez pas peur du kamikaze.Ce qui l'intéresse dans le risque de mort, ce n'est pas le risque, c'est la mort. Ce qu'il aime dans la guerre, ce n'est pas "vaincre ou mourir" mais mourir et ne surtout pas vaincre.Sa grande affaire, ce n'est pas, comme dit Clausewitz, proportionner des efforts à la force de résistance de l'ennemi, le renverser, le réduire - mais mourir.(ch. 16 Debray, Kojève et le prix du sang)”
“Il y a des personnes à qui on n'ose donner d'autres marques de la passion qu'on a pour elles que par les choses qui ne les regardent point ; et, n'osant leur faire paraître qu'on les aime, on voudrait du moins qu'elles vissent que l'on ne veut être aimé de personne. L'on voudrait qu'elles sussent qu'il n'y a point de beauté, dans quelques rang qu'elle pût être, que l'on ne regardât avec indifférence, et qu'il n'y a point de couronne que l'on voulût acheter au prix de ne les voir jamais. Les femmes jugent d'ordinaire de la passion qu'on a pour elles, continua-t-il, par le soin qu'on prend de leur plaire et de les chercher ; mais ce n'est pas une chose difficile pour peu qu'elles soient aimables ; ce qui est difficile, c'est de ne s'abandonner pas au plaisir de les suivre ; c'est de les éviter, par peur de laisser paraître au public, et quasi à elles-mêmes, les sentiments que l'on a pour elles.”
“La chose dont je parle ici a une parenté avec le style, mais ne se ramène pas au seul style. C'est la griffe particulière et reconnaissable entre toutes qu'un écrivain appose à tout ce qu'il écrit. Ce n'est pas le talent. Le talent, ça court les rues. Mais un écrivain qui a une façon spéciale de voir les choses et qui donne une forme artistique à cette manière de voir est un écrivain qui a des chances de durer.”
“Ça m'a pris presque un an pour réaliser qu'elle n'est nulle part, l'aventure. L'aventure ne se trouve pas dans un livre, un guide ou une expédition prévue pour ça. L'aventure est une porte qui s'ouvre par en-dedans. Le reste dépend de vous. Ça peut se passer à Bombay, à Brossard ou dans la prison de Tanguay. L'aventure débute avec la fin de la peur: de la peur de rire quand on doit se taire; de la peur de fuir quand on doit plaire; de la peur d'être nu, ridicule et vulnérable, mort; de la peur de se tromper; de la peur d'échouer. Se placer volontairement les pieds dans les plats? Pourquoi pas! Se confronter à une tâche impossible à réaliser? Kick ass, baby! L'aventure a la tête dure. L'aventure n'apprend pas de ses erreurs, sinon qu'elle n'en a jamais assez commises. Et toujours, l'aventure prend des fucking de drôles de tournures. Même que, parfois, elle commence où on croit qu'elle finit...”