“Comment était ce Paris? Quel nom démesuré! Elle se le répétait à demi-voix, pour se faire plaisir; il sonnait à ses oreilles comme un bourdon de cathédrale, il flamboyait à ses yeux jusque sur l’étiquette de ses pots de pommade.”
“Quant à l'endroit où se trouvait mon père, le jour de ses funérailles, ma mère me l'avait indiqué. C'est un peu loin, mais un jour ou l'autre nous irons le rejoindre, il n'y a pas à craindre de s'égarer. Ton papa est gentil, il est seulement parti devant pour voir comment c'était, m'avait-elle dit.”
“Donna Tosacana était devenue une femme imposante, toujours vêtue de noir depuis la mort de son mari. Sous la soie noire extérieure, elle portait des jupons, quatre jupons aux couleurs vives. Ses chevilles enflées ressemblaient à des goitres. Ses minuscules chaussures paraissaient prêtes à éclater sous la pression de ses cente vingt-cinq kilos. Une douzaine de seins superposés semblaient s'écraser sur sa poitrine. Elle était bâtie comme une pyramide, sans hanches. Ses bras étaient si charnus qu'ils ne tombaient pas à la verticale, mais faisaient un angle avec son corps ; ses doigts enrobés de graisse évoquaient des saucisses. Elle n'avait quasiment pas de cou. Quand elle tournait la tête, les bourrelets de chair se déplaçaient avec la lenteur mélancolique de la cire molle. On voyait son crâne rose à travers ses cheveux blancs clairsemés. Son nez était mince et exquis, mais ses yeux évoquaient deux raisins noirs écrasés. Dès qu'elle parlait, ses fausses dents jacassaient dans l'idiome qui leur était propre.”
“Les yeux échappent à tout contrôle. Nous devons réfléchir où et quand nous les posons. L'ensemble de notre vie s'écoule à travers eux et ils peuvent aussi bien être des fusils que des notes de musique, un chant d'oiseau qu'un cri de guerre. Ils ont le pouvoir de nous dévoiler, de te sauver, te perdre. J'ai aperçu tes yeux et ma vie a changé. Ses yeux à elle m'effraient. Ses yeux à lui m'aspirent. Regarde-moi un peu, alors tout ira mieux et peut-être pourrai-je dormir. (p. 234)”
“Le destin attend toujours au coin de la rue. Comme un voyou, une pute ou un vendeur de loterie : ses trois incarnations favorites. Mais il ne vient pas vous démarcher à domicile. Il faut aller à sa rencontre.”
“Le téléviseur est réel. Il est présent. Il a ses dimensions. Il vous dit ce qu'il faut penser, vous le hurle à la figure. Il doit avoir raison. Il semble avoir raison. Il vous pousse à un tel rythme vers ses conclusions que votre esprit n'a pas le temps de s'écrier: "C'est idiot".”