“Mais au nom de quelle logique économique devrait-on interdire les emprunts nécessaires pour construire des routes, des universités, des crèches, des hôpitaux ? En matière d'investissement, il serait pertinent d'appliquer aux comptes publics le même raisonnement qu'aux comptes de l'entreprise. Le déficit et l'endettement public sont parfaitement justifiés, quand ils financent des biens et des équipements publics indispensables et dont l'effet positif sur le développement suscitera à terme les rentrées fiscales permettant de rembourser les crédits contractés.”
“Prendre les actes constatés des individus pour des choix complètement libres, c'est faire l'impasse sur l'inégale capacité des individus à mener leur vie selon leurs souhaits. Cela revient à dire que les chômeurs de longue durée sont libres de se suicider pour échapper au chômage, que les pauvres sont libres de ne pas acheter de caviar et que, les riches étant par ailleurs libres de ne pas inviter les pauvres à leur table, tout le monde baigne dans le bonheur des choix souverains.”
“Qui n'a pas un jour, au nom d'une légitime aversion pour le gaspillage, contraint son enfant à terminer son assiette quand le malheureux se sentait déjà au bord de l'indigestion ? Ce faisant, nous ne comprenons pas que le gaspillage s'est déjà irrémédiablement produit quand nous avons préparé un dîner trop copieux par rapport à ce qui était nécessaire pour procurer la satisfaction recherchée. Nous perdons de vue qu'il s'agit de nourrir correctement notre enfant et non de le gaver.Nous ajoutons à l'erreur initiale d'évaluation une erreur de diététique et d'éducation qui finira par accoutumer l'organisme de notre chérubin à des quantités excessives de nourriture, réduira ainsi son espérance de vie, perturbera éventuellement son entendement en lui inculquant la conviction que les gens se réunissent autour d'une table pour s'infliger des violences ou, au contraire, ce qui n'est guère préférable, qu'aimer les autres consiste plus à les remplir qu'à les écouter.”
“Les mots ont parfois le pouvoir des trolls et ils sont capables d'abattre les dieux, ils peuvent sauver des vies et les anéantir. Les mots sont des flèches, des balles de fusil, des oiseaux légendaires lancés à la poursuite des héros, les mots sont des poissons immémoriaux qui découvrent un secret terrifiant au fond de l'abîme, ils sont un filet assez ample pour attraper le monde et embrasser les cieux, mais parfois, ils ne sont rien, des guenilles usées, transpercées par le froid, des forteresses caduques que la mort et le malheur piétinent sans effort. (p. 235)”
“Il y a, à Venise, trois lieux magiques et secrets : l'un dans la "rue de l'amour des amis", le deuxième près du "pont des merveilles" et le troisième dans le "sentier des marranes", près de San Geremia, dans le vieux ghetto. Quand les Vénitiens - parfois ce sont les Maltais - sont fatigués des autorités, ils vont dans ces lieux secrets et, ouvrant les portes au fond de ces cours, ils s'en vont pour toujours vers des pays merveilleux et vers d'autres histoires...”
“Le cancreIl dit non avec la têteMais il dit oui avec le coeurIl dit oui à ce qu'il aimeIl dit non au professeurIl est deboutOn le questionneEt tous les problèmes sont posésSoudain le fou rire le prendEt il efface toutLes chiffres et les motsLes dates et les nomsLes phrases et les piègesEt malgré les menaces du maîtreSous les huées des enfants prodigesAvec des craies de toutes les couleursSur le tableau noir du malheurIl dessine le visage du bonheur”
“Combien de gens exercent-ils le travail de leur choix ? Certains scientifiques, artistes, quelques travailleurs très qualifiés ou certaines professions libérales ont peut-être cette satisfaction, mais la plupart des gens ne sont pas libres de choisir leur activité. C'est la nécessité économique qui les y oblige. C'est pourquoi on peut parler de "travail aliéné". En outre, la plupart des travailleurs produisent des biens et des services destinés à devenir des marchandises qu'ils n'ont pas eux-mêmes choisi de produire et qui appartiennent à un autre : le capitaliste qui les emploie. Les travailleurs sont donc, en outre, parfaitement étrangers au produit de leur labeur. Le travail s'effectue dans des conditions industrielles modernes qui privilégient la concurrence plutôt que la collaboration et l'isolement plutôt que l'association. Les travailleurs sont donc également étrangers les uns aux autres. Concentrés dans les villes et les usines, ils sont pour finir étrangers à la nature.”