“L'anthropologie n'est ni une religion à laquelle on adhère, ni une maladie qu'on contracte. Elle est d'un même mouvement un retour sur Soi et sur l'Autre considérés ensemble, mais l'habitude d'une relation à sens unique depuis cinq siècles n'autorise pas l'inversion de cette relation a produire les mêmes effets.”
“Mais même au XIX siècle elles étaient souvent obligées de se cacher; elles n'avaient pas même 'une chambre à elles', c'est-à-dire qu'elles ne jouissaient pas de cette indépendance matérielle qui est une des conditions nécessaires de la liberté intérieure.”
“Le développement des connaissances préhistoriques et archéologiques tend à étaler dans l'espace des formes de civilisation que nous étions portés à imaginer comme échelonnées dans le temps. Cela signifie deux choses : d'abord que le "progrès" (si ce terme convient encore pour désigner une réalité très différente de celle à laquelle on l'avait d'abord appliqué) n'est ni nécessaire, ni continue ; il procède par sauts, par bonds, ou, comme diraient les biologistes, par mutations. Ces sauts et ces bonds ne consistent pas à aller toujours plus loin dans la même direction ; ils s'accompagnent de changements d'orientation, un peu à la manière du cavalier des échecs qui a toujours à sa disposition plusieurs progressions mais jamais dans le même sens. L'humanité en progrès ne ressemble guère à un personnage gravissant un escalier, ajoutant par chacun de ses mouvements une marche nouvelle à toutes celles dont la conquête lui est acquise ; elle évoque plutôt le joueur dont la chance est répartie sur plusieurs dés et qui, chaque fois qu'il les jette, les voit s'éparpiller sur le tapis, amenant autant de comptes différents. Ce que l'on gagne sur un, on est toujours exposé à le perdre sur l'autre, et c'est seulement de temps à autre que l'histoire est cumulative, c'est-à-dire que les comptes s'additionnent pour former une combinaison favorable. (p.29-30)”
“La pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à un parti, ni à une passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n'est aux faits eux-mêmes, parce que, pour elle, se soumettre, ce serait cesser d'être.”
“Mais ce que je ne savais pas, c'est qu'il n'est pas bon de laisser la mort se promener trop longtemps à visage découvert sur la terre. Je ne savais pas... Elle émeut, elle éveille la mort encore endormie au fond des autres, comme un enfant dans le ventre d'une femme. Et comme quand une femme rencontre une femme grosse - même si elle détourne la tête, tout au fond d'eux-mêmes, si l'on descendait, on les sentirait complices... Oui, c'est leur mort tout d'un coup qui bouge en eux.”
“Lorsque la sexualité disparaît, c'est le corps de l'autre qui apparaît, dans sa présence vaguement hostile; ce sont les bruits, les mouvements, les odeurs; et la présence même de ce corps qu'on ne peut plus toucher, ni sanctifier par le contact, devient peu à peu une gêne; tout cela malheureusement, est connu. La disparition de la tendresse suit toujours de près celle de l'érotisme. Il n'y a pas de relation épurée, d'union supérieure des âmes, ni quoi que ce soit qui puisse y ressembler, ou même l'évoquer sur un mode allusif. Quand l'amour physique disparaît, tout disparaît; un agacement morne, sans profondeur, vient remplir la succession des jours.”