“L’harmonie, me disait-il, n’est qu’un accessoire éloigné dans la musique imitative; il n’y a dans l’harmonie proprement dite aucun principe d’imitation. Elle assure, il est vrai, les intonations; elle porte témoignage de leur justesse; et, rendant les modulations plus sensibles, elle ajoute de l’énergie à l’expresson, et de la grâce au chant. Mais c’est de la seule mélodie que sort cette puissance invincible des accents passionés; c’est d’elle que dérive tout le pouvoir de la musique sur l’âme. Formez les plus savantes successions d’accords sans mélange de mélodie, vous serez ennuyés au bout d’un quart d’heure. De beaux chants sans aucune harmonie sont longtemps à l’épreuve de l’ennui. Que l’accent du sentiment anime les chants les plus simples, ils seront intéressants. Au contraire, une mélodie qui ne parle point chante toujours mal, et la seule harmonie n’a jamais rien su dire au coeur.”
“L'histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l'intellect ait élaboré. Ses propriétés sont bien connues. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution, et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines.L'histoire justifie ce que l'on veut. Elle n'enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout, et donne des exemples de tout.”
“Mais le narrateur est plutôt tenté de croire qu’en donnant trop d’importance aux belles actions, on rend finalement un hommage indirect et puissant au mal. Car on laisse supposer alors que ces belles actions n’ont tant de prix que parce qu’elles sont rares et que la méchanceté et l’indifférence sont des moteurs bien plus fréquents dans les actions des hommes. C’est là une idée que le narrateur ne partage pas. Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l’ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n’est pas éclairée. Les hommes sont plutôt bons que mauvais, et en vérité ce n’est pas la question. Mais ils ignorent plus ou moins, et c’est ce qu’on appelle vertu ou vice, le vice le plus désespérant étant celui de l’ignorance qui croit tout savoir et qui s'autorise alors a tuer. L'âme du meurtrier est aveugle et il n’y a pas de vraie bonté ni de belle amour sans toute la clairvoyance possible.”
“Si la simple expression de la douleur et de la joie soulage le coeur, les épanchements de la poésie lyrique [ont] une mission plus haute ; celle, non de délivrer l'esprit du sentiment, mais de l'affranchir dans le sentiment.En effet, la domination aveugle de la passion consiste en ce que l'âme s'identifie tout entière avec elle, au point de ne plus pouvoir s'en détacher, de ne pouvoir se contempler et s'exprimer elle-même. Or la poésie délivre, à la vérité, l'âme de cette oppression en lui mettant sous les yeux sa propre image. Elle fait de chaque sentiment accidentel un objet purifié, dans lequel l'âme affranchie retourne libre à elle-même dans sa conscience délivrée et s'y retrouve chez elle.”
“Il y a des personnes à qui on n'ose donner d'autres marques de la passion qu'on a pour elles que par les choses qui ne les regardent point ; et, n'osant leur faire paraître qu'on les aime, on voudrait du moins qu'elles vissent que l'on ne veut être aimé de personne. L'on voudrait qu'elles sussent qu'il n'y a point de beauté, dans quelques rang qu'elle pût être, que l'on ne regardât avec indifférence, et qu'il n'y a point de couronne que l'on voulût acheter au prix de ne les voir jamais. Les femmes jugent d'ordinaire de la passion qu'on a pour elles, continua-t-il, par le soin qu'on prend de leur plaire et de les chercher ; mais ce n'est pas une chose difficile pour peu qu'elles soient aimables ; ce qui est difficile, c'est de ne s'abandonner pas au plaisir de les suivre ; c'est de les éviter, par peur de laisser paraître au public, et quasi à elles-mêmes, les sentiments que l'on a pour elles.”
“Il ne fait aucun doute pour moi que la sagesse est le but principal de la vie et c'est pourquoi je reviens toujours aux stoïciens. Ils ont atteint la sagesse, on ne peut donc plus les appeler des philosophes au sens propre du terme. De mon point de vue, la sagesse est le terme naturel de la philosophie, sa fin dans les deux sens du mot. Une philosophie finit en sagesse et par là même disparaît.”