“Un homme s’engage dans sa vie, dessine sa figure, et en dehors de cette figure, il n’y a rien. Évidemment, cette pensée peut paraître dure à quelqu’un qui n’a pas réussi sa vie. Mais d’autre part, elle dispose les gens à comprendre que seule compte la réalité, que les rêves, les attentes, les espoirs permettent seulement de définir un homme comme rêvé déçu , comme espoir avorté, comme attente inutile.”
“Je pense, lui dis-je, que nous voilà, tous tant que nous sommes, à manger et à boire pour conserver notre précieuse existence et qu’il n’y a rien, rien, aucune raison d’exister… L’autodidacte répondit que la vie a un sens si on veut bien lui en donner un. Il faut d’abord agir, se jeter dans une entreprise. Il y a un but, Monsieur, il y a un but… il y a les hommes.”
“Si seulement je pouvais m'arrêter de penser, ça irait déjà mieux. Les pensées, c'est ce qu'il y a de plus fade. Plus fade encore que de la chair. Ça s'étire à n'en plus finir et ça laisse un drôle de goût. Et puis il y a les mots, au-dedans des pensées, les mots inachevés, les ébauches de phrases qui reviennent tout le temps.”
“Quel bonheur dans ce temps-là ! quelle liberté ! quel espoir ! quellle abondance d’illusions ! Il n’en restait plus maintenant ! Elle en avait dépensé à toutes les aventures de son âme, par toutes les conditions successives, dans la virginité, dans le mariage et dans l’amour ; - les perdant ainsi continuellement le long de sa vie, comme un voyageur qui laisse quelque chose de sa richesse à toutes les auberges de la route.Mais qui donc la rendait si malheureuse ? où était la catastrophe extraordinaire qui l’avait bouleversée ? Elle releva sa tête, regardant autour d’elle, comme pour chercher la cause de ce qui la faisait souffrir.”
“Celui qui éprouve de l'aversion pour les danseurs et veut les dénigrer se heurtera toujours à un obstacle infranchissable : leur honnêteté ; car en s'exposant constamment au public, le danseur se condamne à être irréprochable ; il n'a pas conclu comme Faust un contrat avec le Diable, il l'a conclu avec l'Ange : il veut faire de sa vie une oeuvre d'art et c'est dans ce travail que l'Ange l'aide ; car, n'oublie pas, la danse est un art ! C'est dans cette obsession de voir en sa propre vie la matière d'une oeuvre d'art que se trouve la vraie essence du danseur ; il ne prêche pas la morale, il la danse ! Il veut émouvoir et éblouir le monde par la beauté de sa vie ! il est amoureux de sa vie comme un sculpteur peut être amoureux de la statue qu'il est en train de modeler." (chapitre 6)”
“J'ai commencé ma vie comme je la finirai sans doute : au milieu des livres. Dans le bureau de mon grand-père, il y en avait partout ; défense était de les faire épousseter sauf une fois l'an, avant la rentrée d'octobre. Je ne savais pas encore lire que, déjà, je les révérais, ces pierres levées : droites ou penchées, serrées comme des briques sur les rayons de la bibliothèque ou noblement espacées en allées de menhirs, je sentais que la prospérité de notre famille en dépendait...”
“L'acte de penser l'intéressait maintenant plus que les douteux produits de la pensée elle-même. (...) Toute sa vie, il s'était ébahi de cette faculté qu'ont les idées de s'agglomérer froidement comme des cristaux en d'étranges figures vaines, de croître comme des tumeurs dévorant la chair qui les a conçues, ou encore d'assumer monstrueusement certains linéaments de la personne humaine, comme ces masses inertes dont accouchent certaines femmes, et qui ne sont en somme que de la matière qui rêve. (...) D'autres notions, plus propres et plus nettes, forgées comme par un maître ouvrier, étaient de ces objets qui font illusion à distance; on ne se lassait pas d'admirer leurs angles et leurs parallèles; elles n'étaient néanmoins que les barreaux dans lesquels l'entendement s'enferme lui-même, et la rouille du faux mangeait déjà ces abstraites ferrailles. (...) Les notions mouraient comme les hommes: il avait vu au cours d'un demi-siècle plusieurs générations d'idées tomber en poussière.(L'abîme)”