“Le temps n’efface pas tout, certains instants restent intacts en nos mémoires, sans que l’on sache pourquoi ceux-là plus que d’autres. Peut-être sont-ce là quelques confidences subtiles que la vie nous livre en silence.”
“Avez-vous remarqué que la mort seule réveille nos sentiments? Comme nous aimons les amis qui viennent de nous quitter, n’est-ce pas? Comme nous admirons ceux de nos maîtres qui ne parlent plus, la bouche pleine de terre! L’hommage vient alors tout naturellement, cet hommage que, peut-être, ils avaient attendu de nous toute leur vie. Mais savez-vous pourquoi nous sommes toujours plus justes et plus généreux avec les morts? La raison est simple ! Avec eux, il n’y a pas d’obligation. Ils nous laissent libres, nous pouvons prendre notre temps, caser l’hommage entre le cocktail et une gentille maîtresse, à temps perdu, en somme. S’ils nous obligeaient à quelque chose, ce serait à la mémoire, et nous avons la mémoire courte. Non, c’est le mort frais que nous aimons chez nos amis, le mort douloureux, notre émotion, nous-mêmes enfin!”
“Seuls ceux qui sont amoureux de la sagesse auraient envie de penser. Cela revient à une tautologie décevante. Pour être apte à penser, il faudrait aimer la beauté et la justice et donc avoir une âme bonne. Le monde serait divisé en bons et en méchants sans qu’on sache pourquoi. Cette division, c’est exactement ce que nous ne cherchions pas. Dès lors il faut reprendre l’analyse.”
“Si nous étions lucides, instantanément l'horreur de ce qui nous entoure nous laisserait stupides. On ne saurait être parfaitement lucide et déambuler dans les rues de nos cités modernes sans en être affecté de façon ou d'autre. Ce qui ne signifie pas que nous devrions avoir envie de les reconstruire, nos cités, de les faire un peu moins laides - mais de les planter là, de filer pour ne plus revenir, oui. De tout flanquer en l'air, de plaquer le boulot, d'envoyer paître les obligations, le percepteur, les lois et tout ce qui s'ensuit. Un être humain parfaitement éveillé, croyez-vous qu'il se conduirait en cinglé, comme c'est le cas, comme on le lui demande, à chaque instant de la journée ?”
“Nous nous confions rarement à ceux qui sont meilleurs que nous. Nous fuirions plutôt leur société. Le plus souvent au contraire, nous nous confions à ceux qui nous ressemblent et qui partagent nos faiblesses. Nous ne désirons donc pas nous corriger ni être améliorés : il faudrait d'abord que nous fussions jugés défaillants. Nous souhaitons seulement être plaints et encouragés dans notre voie. En somme, nous voudrions en même temps ne pas être coupable et ne pas faire l'effort de nous purifier. Pas assez de cynisme et pas assez de vertu. Nous n'avons ni l'énergie du mal, ni celle du bien.”
“La mort ? Un rendez-vous inéluctable et éternellement manqué puisque sa présence signifiait notre absence. Elle s'installe à l'instant où nous cessons d'être. C'est elle ou nous. Nous pouvons en toute conscience aller au-devant d'elle, mais pouvons-nous la connaître, ne fût-ce que le temps d'un éclair ? J'allais être à tout jamais séparée de qui j'aimais le mieux au monde. Le "jamais plus" était à notre porte. Je savais que nul lien, sauf mon amour, ne nous relierait . Si certaines cellules plus subtiles que l'on appelle âme continuent à exister, je me disais qu'elles ne pouvaient être douées de mémoire et que notre séparation serait éternelle. Je me répétais que la mort n'est rien, que seules la peur, la souffrance physique et la douleur de quitter ceux que l'on aime ou l'oeuvre entreprise rendent son approche atroce et que cela te serait épargné. Mais ne plus être présent au monde !”