“Nul ne peut voir par-dessus soi, écrit Schopenhauer pour faire comprendre l'impossibilité d'un échange d'idées entre deux individus d'un niveau intellectuel trop différent.”
“Il me dit: « Vous avez dû avoir peur. » Je réponds oui pour ne pas faire d'histoires, mais en fait je n'ai pas eu peur du tout, j'ai juste eu l'impression que j'allais crever dans les prochaines minutes ; c'est différent.”
“«Sophie, s'exclama à nouveau Bruno, sais-tu ce que Nietzsche a écrit de Shakespeare? "Ce que cet homme a dû souffrir pour éprouver un tel besoin de faire le pitre!..." Shakespeare m'a toujours paru un auteur surfait; mais c'est, en effet, un pitre considérable.» II s'interrompit, prit conscience avec surprise qu'il commençait réellement à souffrir. Les femmes, parfois, étaient tellement gentilles; elles répondaient à l'agressivité par la compréhension, au cynisme par la douceur. Quel homme se serait comporté ainsi?”
“Refuser de faire quelque chose parce qu'on l'a déjà fait, parce qu'on a déjà vécu l'expérience, conduit rapidement à une destruction, pour soi-même comme pour les autres, de toute raison de vivre comme de tout futur possible, et vous plonge dans un ennui pesant qui finit par se transformer en une amertume atroce, accompagnée de haine et de rancoeur à l'égard de ceux qui appartiennent encore à la vie.”
“Si le nourrisson humain, seul de tout le règne animal, manifeste immédiatement sa présence au monde par des hurlements de souffrance incessants, c'est bien entendu qu'il souffre de manière intolérable. {...) À tout observateur impartial en tout cas il apparaît que l'individu humain ne peut pas être heureux, qu'il n'est en aucune manière conçu pour le bonheur, et que sa seule destinée possible est de propager le malheur autour de lui en rendant l'existence des autres aussi intolérable que l'est la sienne propre - ses premières victimes étant généralement ses parents.”
“Que pouvions-nous faire, donc? Vivre? C'est exactement dans ce genre de situation qu'écrasés par le sentiment de leur propre insignifiance les gens se décident à faire des enfants; ainsi se reproduit l'espèce, de moins en moins il est vrai.”
“Ce fut en ces circonstances, une nuit de juillet 1974, qu'Annabelle accéda à la conscience douloureuse et définitive de son existence individuelle. D'abord révélée à l'animal sous la forme de la douleur physique, l'existence individuelle n'accède dans les sociétés humaines à la pleine conscience d'elle-même que par l'intermédiaire du mensonge, avec lequel elle peut en pratique se confondre. Jusqu'à l'âge de seize ans, Annabelle n'avait pas eu de secrets pour ses parents; elle n'avait pas eu non plus - et cela avait été, elle s'en rendait compte à présent, quelque chose de rare et de précieux - desecrets pour Michel. En quelques heures cette nuit-là Annabelle prit conscience que la vie des hommes était une succession ininterrompue de mensonges. Par la même occasion, elle prit conscience de sa beauté.”