“Quand on aime la vie, on ne lit pas.”
“La difficulté, c'est qu'il ne suffit pas exactement de vivre selon la règle. En effet vous parvenez (parfois de justesse, d'extrême justesse, mais dans l'ensemble vous y parvenez) à vivre selon la règle. Vos feuilles d'imposition sont à jour. Vos factures, payées à la bonne date. Vous ne vous déplacez jamais sans carte d'identité (et la petite pochette spéciale pour la carte bleue!..).Pourtant, vous n'avez pas d'amis.”
“Le dôme de l'Institut avait une vraie grâce, dut-il convenir un peu malgré lui. Évidemment, donner une forme arrondie à un bâtiment ne pouvait se justifier en aucune manière; sur le plan rationnel, c'était simplement de la place perdue. La modernité était peut-être une erreur, se dit Jed pour la première fois de sa vie. Question purement rhétorique, d'ailleurs: la modernité était terminée en Europe occidentale depuis pas mal de temps déjà.”
“Ce n'est pas la lassitude qui met fin à l'amour, ou plutôt cette lassitude naît de l'impatience des corps qui se savent condamnés et qui voudraient vivre, dans le laps de temps qui leur est imparti, ne laisser passer aucune chance, ne laisser échapper aucune possibilité, qui voudraient utiliser au maximum ce temps de vie limité, déclinant, médiocre qui est le leur, et qui partant ne peuvent aimer qui que ce soit car tous les autres leurs paraissent limités, déclinants, médiocres.”
“Le plaisir sexuel n'était pas seulement supérieur, en raffinement et en violence, à tous les autres plaisirs que pouvait comporter la vie; il n'était pas seulement l'unique plaisir qui ne s'accompagne d'aucun dommage pour l'organisme, mais qui contribue au contraire à le maintenir à son plus haut niveau de vitalité et de force; il était l'unique plaisir, l'unique objectif en vérité de l'existence humaine, et tous les autres - qu'ils soient associés aux nourritures riches, au tabac, aux alcools ou à la drogue - n'étaient que des compensations dérisoires et désespérées, des mini-suicides qui n'avaient pas le courage de dire leur nom, des tentatives pour détruire plus rapidement un corps qui n'avait plus accès au plaisir unique.”
“Lorsque la sexualité disparaît, c'est le corps de l'autre qui apparaît, dans sa présence vaguement hostile; ce sont les bruits, les mouvements, les odeurs; et la présence même de ce corps qu'on ne peut plus toucher, ni sanctifier par le contact, devient peu à peu une gêne; tout cela malheureusement, est connu. La disparition de la tendresse suit toujours de près celle de l'érotisme. Il n'y a pas de relation épurée, d'union supérieure des âmes, ni quoi que ce soit qui puisse y ressembler, ou même l'évoquer sur un mode allusif. Quand l'amour physique disparaît, tout disparaît; un agacement morne, sans profondeur, vient remplir la succession des jours.”
“Tout est kitsch, si l'on veut. La musique dans son ensemble est kitsch; l'art est kitsch; la littérature elle-même est kitsch. Toute émotion est kitsch, pratiquement par définition; mais toute réflexion aussi, et même dans un sens toute action. La seule chose qui ne soit absolument pas kitsch, c'est le néant.”