“Celui qui éprouve de l'aversion pour les danseurs et veut les dénigrer se heurtera toujours à un obstacle infranchissable : leur honnêteté ; car en s'exposant constamment au public, le danseur se condamne à être irréprochable ; il n'a pas conclu comme Faust un contrat avec le Diable, il l'a conclu avec l'Ange : il veut faire de sa vie une oeuvre d'art et c'est dans ce travail que l'Ange l'aide ; car, n'oublie pas, la danse est un art ! C'est dans cette obsession de voir en sa propre vie la matière d'une oeuvre d'art que se trouve la vraie essence du danseur ; il ne prêche pas la morale, il la danse ! Il veut émouvoir et éblouir le monde par la beauté de sa vie ! il est amoureux de sa vie comme un sculpteur peut être amoureux de la statue qu'il est en train de modeler." (chapitre 6)”
“L'homme ne peut jamais savoir ce qu'il faut vouloir car il n'a qu'une vie et il ne peut ni la comparer à des vies antérieures ni la rectifier dans des vies ultérieures. (...) Il n'existe aucun moyen de vérifier quelle décision est la bonne car il n'existe aucune comparaison. Tout est vécu tout de suite pour la première fois et sans préparation. Comme si un acteur entrait en scène sans avoir jamais répété. Mais que peut valoir la vie, si la première répétition de la vie est déjà la vie même ? C'est ce qui fait que la vie ressemble toujours à une esquisse. Mais même "esquisse" n'est pas le mot juste, car une esquisse est toujours l'ébauche de quelque chose, la préparation d'un tableau, tandis que l'esquisse qu'est notre vie est une esquisse de rien, une ébauche sans tableau. (partie I, ch. 3)”
“Tous les hommes politiques d'aujourd'hui, selon Pontevin, sont un peu danseurs, et tous les danseurs se mêlent de politique, ce qui, toutefois, ne devrait pas nous amener à les confondre. Le danseur se distingue de l'homme politique ordinaire en ceci qu'il ne désire pas le pouvoir mais la gloire ; il ne désire pas imposer au monde telle ou telle organisation sociale (il s'en soucie comme d'une guigne) mais occuper la scène pour faire rayonner son moi.”
“La dame de la Cour de cassation, c'est un arrêt qui tombe au printemps 2000 et qui dit que le juge ne peut pas relever d'office, c'est-à-dire de sa propre initiative, un manquement à la loi. On reconnaît la théorie libérale : on n'a pas plus de droit que celui qu'on réclame ; pour réparer un tort, il faut que celui qui l'a subi s'en plaigne. Dans le cas d'un litige entre un consommateur et un professionnel du crédit, si le consommateur ne se plaint pas du contrat, ce n'est pas au juge de le faire à sa place. Cela se tient dans la théorie libérale, dans la réalité le consommateur ne s'en plaint jamais, parce qu'il ne connaît pas la loi, parce que ce n'est pas lui qui a porté le litige en justice, parce que neuf fois sur dix il n'a pas d'avocat. Peu importe, dit la Cour de cassation, l'office du juge, c'est l'office du juge : il n'a pas à se mêler de ce qui ne le regarde pas ; s'il est scandalisé, il doit le rester en son for intérieur.”
“Il peut arriver des situations (dans les régimes dictatoriaux, par exemple) où prendre publiquement position est dangereux ; pour le danseur ce l'est pourtant un peu moins que pour les autres, car, s'étant promené sous la lumière des projecteurs, visible de partout, il est protégé par l'attention du monde ; mais il a ses admirateurs anonymes qui, obéissant à son appel aussi splendide qu'irréfléchie, signent des pétitions, participent à des réunions interdites, manifestent dans la rue ; ceux-là seront traités sans ménagement et le danseur ne cédera jamais à la tentation sentimentale de se reprocher d'avoir causé leur malheur, sachant qu'une noble cause pèse plus que la vie d'un tel ou un tel. (chapitre 6)”
“Il n'existe aucun moyen de vérifier quelle décision est la bonne car il n'existe aucune comparaison. Tout est vécu tout de suite pour la première fois et sans préparation. Comme si un acteur entrait en scène sans avoir jamais répété. Mais que peut valoir la vie, si la première répétition de la vie est déjà la vie même? C'est ce qui fait que la vie ressemble toujours à une esquisse. Mais même 'esquisse' n'est pas le mot juste, car une esquisse est toujours l'ébauche de quelque chose, la préparation d'un tableau, tandis que l'esquisse qu'est notre vie est une esquisse de rien, une ébauche sans tableau.”
“Si un danseur a la possibilité d'entrer dans le jeu politique, il refusera ostensiblement toutes les négociations secrètes (qui sont depuis toujours le terrain de jeu de la vraie politique) en les dénonçant comme mensongères, malhonnêtes, hypocrites, sales ; il avancera ses propositions publiquement, sur une estrade, en chantant, en dansant, et appellera nommément les autres à le suivre dans son action ; j'insiste : non pas discrètement (pour donner à l'autre le temps de réfléchir, de discuter des contrepropositions) mais publiquement, et si possible par surprise : "Êtes-vous prêt tout de suite (comme moi) à renoncer à votre salaire du mois de mars au profit des enfants de Somalie ?" Surpris, les gens n'auront que deux possibilités : ou bien refuser et ainsi se discréditer en tant qu'ennemis des enfants, ou bien dire "oui" dans un terrible embarras que la caméra devra malicieusement montrer (chapitre 6)”