“Dieu c'est l'essence même, tandis qu'Édouard n'a jamais rien trouvé d'essentiel ni dans ses amours, ni dans son métier, ni dans ses idées. Il est trop honnête pour admettre qu'il trouve l'essentiel dans l'inessentiel, mais il est trop faible pour ne pas désirer secrètement l'essentiel.Ah, mesdames et messieurs, comme il est triste de vivre quand on ne peut rein prendre au sérieux, rien ni personne !C'est pourquoi Edouard éprouve le désir de Dieu, car seul Dieu est dispensé de l'obligation de paraître et peut se contenter d'être ; car lui seul constitue (lui seul, unique et non existant) l'antithèse essentielle de ce monde d'autant plus existant qu'il est inessentiel.”
“Je disais que le monde est absurde et j'allais trop vite. ce monde en lui-même n'est pas raisonnable, c'est tout ce qu'on en peut dire. Mais ce qui est absurde, c'est la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme. L'absurde dépend autant de l'homme que du monde. Il est pour le moment leur seul lien. Il les scelle l'un à l'autre comme la haine seule peut river les êtres. C'est tout ce que je puis discerner clairement dans cet univers sans mesure où mon aventure se poursuit.”
“L'homme ne peut jamais savoir ce qu'il faut vouloir car il n'a qu'une vie et il ne peut ni la comparer à des vies antérieures ni la rectifier dans des vies ultérieures. (...) Il n'existe aucun moyen de vérifier quelle décision est la bonne car il n'existe aucune comparaison. Tout est vécu tout de suite pour la première fois et sans préparation. Comme si un acteur entrait en scène sans avoir jamais répété. Mais que peut valoir la vie, si la première répétition de la vie est déjà la vie même ? C'est ce qui fait que la vie ressemble toujours à une esquisse. Mais même "esquisse" n'est pas le mot juste, car une esquisse est toujours l'ébauche de quelque chose, la préparation d'un tableau, tandis que l'esquisse qu'est notre vie est une esquisse de rien, une ébauche sans tableau. (partie I, ch. 3)”
“Peut-être d'ailleurs aime-t-il entendre cette voix parce que précisément il ne peut comprendre les mots qu'elle prononce, et qu'ainsi il est sûr qu'ils ne le blesseront pas, qu'ils ne lui diront pas ce qu'il ne veut pas entendre, qu'ils ne poseront pas de questions douloureuses, qu'ils ne viendront pas dans le passé pour l'exhumer avec violence et le jeter à ses pieds comme une dépouille sanglante.”
“Ah! je voulais te dire aussi, n'aie pas peur de leur sabir. Le sabir du pauvre d'aujourd'hui, c'est l'argot du pauvre d'hier, ni plus ni moins. Depuis toujours le pauvre parle argot. Sais-tu pourquoi? Pour faire croire au riche qu'il a quelque chose à lui cacher. Il n'a rien à cacher, bien sûr, il est beaucoup trop pauvre, rien que des petits trafics par-ci par-là, des broutilles, mais il tient à faire croire que c'est un monde entier qu'il cache, un univers qui nous serait interdit, et si vaste qu'il aurait besoin de toute une langue pour l'exprimer. Mais il n'y a pas de monde, bien sûr, et pas de langue. Rien qu'un petit lexique de connivence, histoire de se tenir chaud, de camoufler le désespoir.”
“Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa forceNi sa faiblesse ni son coeur Et quand il croitOuvrir ses bras son ombre est celle d'une croixEt quand il croit serrer son bonheur il le broieSa vie est un étrange et douloureux divorce Il n'y a pas d'amour heureuxSa vie Elle ressemble à ces soldats sans armesQu'on avait habillés pour un autre destinA quoi peut leur servir de se lever matinEux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertainsDites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes Il n'y a pas d'amour heureuxMon bel amour mon cher amour ma déchirureJe te porte dans moi comme un oiseau blesséEt ceux-là sans savoir nous regardent passerRépétant après moi les mots que j'ai tressésEt qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent Il n'y a pas d'amour heureuxLe temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tardQue pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unissonCe qu'il faut de malheur pour la moindre chansonCe qu'il faut de regrets pour payer un frissonCe qu'il faut de sanglots pour un air de guitare Il n'y a pas d'amour heureuxIl n'y a pas d'amour qui ne soit à douleurIl n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtriIl n'y a pas d'amour dont on ne soit flétriEt pas plus que de toi l'amour de la patrieIl n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs Il n'y a pas d'amour heureux Mais c'est notre amour à tous les deux”