“Une culture naît au moment où une grande âme se réveille, se détache de l'état psychique primaire d'éternelle enfance humaine, forme issue de l'informe, limite et caducité sorties de l'infini et de la durée. Elle croît sur le sol d'un paysage exactement délimitable, auquel elle reste liée comme une plante. Une culture meurt quand l'âme a réalisé la somme entière de ses possibilités, sous la forme de peuples, de langues, de doctrines religieuses, d'arts, de sciences, et qu'elle retourne ainsi à l'état psychique primaire”
“Si la simple expression de la douleur et de la joie soulage le coeur, les épanchements de la poésie lyrique [ont] une mission plus haute ; celle, non de délivrer l'esprit du sentiment, mais de l'affranchir dans le sentiment.En effet, la domination aveugle de la passion consiste en ce que l'âme s'identifie tout entière avec elle, au point de ne plus pouvoir s'en détacher, de ne pouvoir se contempler et s'exprimer elle-même. Or la poésie délivre, à la vérité, l'âme de cette oppression en lui mettant sous les yeux sa propre image. Elle fait de chaque sentiment accidentel un objet purifié, dans lequel l'âme affranchie retourne libre à elle-même dans sa conscience délivrée et s'y retrouve chez elle.”
“Puis elle s’avisa que la lettre pourrait être utile, la défroissa soigneusement sur son couvre—pied et la relut en se rongeant les ongles. Quand elle eut une bonne demi—douzaine de rognures, elle les rassembla entre le pouce et l’index, défit le pommeau de cuivre d’un montant de son lit et les laissa tomber dedans, l’air grave et solennel. Depuis une cinquantaine d’années, elle accumulait ainsi ses rognures et avait déjà rempli les deux montants du pied. C’était une des rares et modesres joies de son existence solitaire que de se figurer en esprit de temps à autre la masse qu’elles formeraient si on les rassemblait dans un seau. (chapitre 28)”
“Ça m'a pris presque un an pour réaliser qu'elle n'est nulle part, l'aventure. L'aventure ne se trouve pas dans un livre, un guide ou une expédition prévue pour ça. L'aventure est une porte qui s'ouvre par en-dedans. Le reste dépend de vous. Ça peut se passer à Bombay, à Brossard ou dans la prison de Tanguay. L'aventure débute avec la fin de la peur: de la peur de rire quand on doit se taire; de la peur de fuir quand on doit plaire; de la peur d'être nu, ridicule et vulnérable, mort; de la peur de se tromper; de la peur d'échouer. Se placer volontairement les pieds dans les plats? Pourquoi pas! Se confronter à une tâche impossible à réaliser? Kick ass, baby! L'aventure a la tête dure. L'aventure n'apprend pas de ses erreurs, sinon qu'elle n'en a jamais assez commises. Et toujours, l'aventure prend des fucking de drôles de tournures. Même que, parfois, elle commence où on croit qu'elle finit...”
“Comme les cristaux et les étoiles, comme les cellules et les plantes, nos âmes aussi se divisent (...). de même que nous nous divisons, nous nous retrouvons. Et ces retrouvailles se nomment l'Amour. Car lorsqu'une âme se divise, elle se divise toujours en une partie masculine et une partie fémnine. C'est expliqué ainsi dans le livre de la Genèse: l'âme d'Adam est divisée, et Eve est née de lui. (...). Dans chaque vie, nous avons la mystérieuse obligation de retrouver, au moins, une de ces Autres Parties. Le Grand Amour, qui les a séparées, se réjouit de l'Amour qui les réunit. - Et comment puis-je savoir que c'est mon Autre Partie?- En prenant des risques. En courant le risque de l'échec, des déceptions, des désillusions, mais en ne cessant jamais de chercher l'Amour. Celui qui ne renonce pas à cette quête est gagnant.”
“On rêve d'un idéal, on le prie, on l'appelle, on le guette, et puis le jour où il se dessine, on découvre la peur de le vivre, celle de ne pas être à la hauteur de ses propres rêves, celle encore de les marier à une réalité dont on devient responsable.”
“Quand je considère ma vie, je suis épouvanté de la trouver informe. L'existence des héros, celle qu'on nous raconte, est simple ; elle va droit au but comme une flèche. Et la plupart des hommes aiment à résumer leur vie dans une formule, parfois dans une vanterie ou dans une plainte, presque toujours dans une récrimination ; leur mémoire leur fabrique complaisamment une existence explicable et claire. Ma vie a des contours moins fermes...Le paysage de mes jours semble se composer, comme les régions de montagne, de matériaux divers entassés pêle-mêle. J'y rencontre ma nature, déjà composite, formée en parties égales d'instinct et de culture. Ça et là, affleurent les granits de l'inévitable ; partout, les éboulements du hasard. Je m'efforce de reparcourir ma vie pour y trouver un plan, y suivre une veine de plomb ou d'or, ou l'écoulement d'une rivière souterraine, mais ce plan tout factice n'est qu'un trompe-l'oeil du souvenir. De temps en temps, dans une rencontre, un présage, une suite définie d'événements, je crois reconnaître une fatalité, mais trop de routes ne mènent nulle part, trop de sommes ne s'additionnent pas. Je perçois bien dans cette diversité, dans ce désordre, la présence d'une personne, mais sa forme semble presque toujours tracée par la pression des circonstances ; ses traits se brouillent comme une image reflétée sur l'eau. Je ne suis pas de ceux qui disent que leurs actions ne leur ressemblent pas. Il faut bien qu'elles le fassent, puisqu'elles sont ma seule mesure, et le seul moyen de me dessiner dans la mémoire des hommes, ou même dans la mienne propre ; puisque c'est peut-être l'impossibilité de continuer à s'exprimer et à se modifier par l'action que constitue la différence entre l'état de mort et celui de vivant. Mais il y a entre moi et ces actes dont je suis fait un hiatus indéfinissable. Et la preuve, c'est que j'éprouve sans cesse le besoin de les peser, de les expliquer, d'en rendre compte à moi-même. Certains travaux qui durèrent peu sont assurément négligeables, mais des occupations qui s'étendirent sur toute la vie ne signifient pas davantage. Par exemple, il me semble à peine essentiel, au moment où j'écris ceci, d'avoir été empereur..." (p.214)”