“Les moments significatifs de la vie sont parfois les plus courts. Telle la seconde d'un flash qui à jamais immortalise un instant et transforme le fugace en impérissable. Tôt ou tard, la photographie jaunie et racornie de cet instant se substitue au souvenir d'une période. Plus encore, elle devient la loupe à travers laquelle on observe cette période, et la déforme. Dans mon souvenir, le reste de ma vie est une création de cet instant précis où j'ai posé les yeux sur lui.”
“J'ai regardé à ma montre, et j'ai calculé combien de temps il me restait à vivre ; j'ai vu que j'avais encore une heure à peine. Il me reste assez de papier sur ma table pour retracer à la hête tous les souvenirs de ma vie et toutes les circonstances qui ont influé sur cet enchaînement stupide et logique de jours et de nuits , de larmes et de rires, qu'on a coutume d'appeler l'existence d'un homme.”
“Les manières de souffrir:Il y a la peur. La peur est terrible et le silence qui la noie encore plus.Il y a la colère, l'enragement quand j'ai cogné ma tête sur le mur de ma chambre.Il y a parfois la pitié qui me donne les yeux d'une fourmi.Et puis la tristesse qui est triste et qui dure.”
“Dans les épaisseurs de la nuit sèche et froide, des milliers d'étoiles se formaient sans trêve et leurs glaçons étincelants, aussitôt détachés, commençaient de glisser insensiblement vers l'horizon. Janine ne pouvait s'arracher à la contemplation de ces feux à la dérive. Elle tournait avec eux et le même cheminement immobile la réunissait peu à peu à son être le plus profond, où le froid et le désir maintenant se combattaient. Devant elle, les étoiles tombaient, une à une, puis s'éteignaient parmi les pierres du désert, et à chaque fois Janine s'ouvrait un peu plus à la nuit. Elle respirait, elle oubliait le froid, le poids des êtres, la vie démente ou figée, la longue angoisse de vivre et de mourir.”
“Les avares ne croient pas à une vie à venir. Le présent est tout pour eux. Cette réflexion jette une horrible clarté sur l'époque actuelle, où, plus qu'en aucun autre temps, l'argent domine les lois, la politique et les moeurs. Institutions, livres, hommes et doctrines, tout comspire à miner la croyance d'une vie future sur laquelle l'édifice social est appuyé depuis dix-huit cents ans. Maintenant le cercueil est une transition peu redoutée. L'avenir, qui nous attendait par delà le requiem, a été transposé dans le présent. Arriver per fas et nefas au paradis terrestre du luxe et des jouissances vaniteuses, pétrifier son coeur et se macérer le corps en vue de possessions passagères, comme on souffrait le martyre de la vie en vue de biens éternels est la pensé générale! pensée d'ailleurs écrite partout, jusque dans les lois....”
“Le silence est un effet de la prudence par laquelle on refuse de se laisser juger ou de s’engager. Il est aussi un effet de l’ascétisme par lequel on réfrène la spontanéité de ses mouvements naturels, on renonce à compter dans l’esprit d’autrui, à obtenir son estime ou à exercer une action sur lui.Cependant, il y a encore dans le silence une sorte d’hommage rendu à la gravité de la vie ; car les paroles ne forment qu’un monde intermédiaire entre ces sentiments intérieurs qui n’ont de sens que pour nous, mais qu’elles trahissent toujours, et les actes qui changent la face du monde et dont souvent elles tiennent la place. L’homme le plus frivole se contente de parler, sans que ses paroles mettent en jeu ni sa pensée, ni sa conduite. Le plus sérieux est celui qui parle le moins : il ne sait que méditer ou agir.Les paroles ne valent que si elles sont médiatrices entre la virtualité de la pensée et la réalité de l’action. Et l’on peut dire qu’elles rendent la pensée réelle, bien qu’elles ne soient encore qu’une action virtuelle.”