“Dans ta tête, tu avais donné un nom au maître. Tu n’osais l’employer en sa présence, bien entendu. Tu l’appelais «Mygale», en souvenir de tes terreurs passées. Mygale, un nom à consonance féminine, un nom d’animal répugnant qui ne cadrait pas à son sexe ni au raffinement extrême qu’il savait montrer dans le choix de tes cadeaux…Mais Mygale car il était telle l’araignée, lente et secrète, cruelle et féroce, avide et insaisissable dans ses desseins, caché quelque part dans cette demeure où il te séquestrait depuis des mois, une toile de luxe, un piège doré dont il était le geôlier et toi le détenu.”

Thierry Jonquet

Thierry Jonquet - “Dans ta tête, tu avais donné un nom...” 1

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“« Écoute, Egor Pétrovitch, lui dit-il. Qu’est ce que tu fais de toi ? Tu te perds seulement avec ton désespoir. Tu n’as ni patience ni courage. Maintenant, dans un accès de tristesse, tu dis quetu n’as pas de talent. Ce n’est pas vrai. Tu as du talent ; je t’assure que tu en as. Je le vois rien qu’à la façon dont tu sens et comprends l’art. Je te le prouverai par toute ta vie. Tu m’as raconté ta vie d’autrefois. À cette époque aussi le désespoirte visitait sans que tu t’en rendisses compte. À cette époque aussi, ton premier maître, cet homme étrange, dont tu m’as tant parlé, a éveillé en toi, pour la première fois, l’amour de l’art et a deviné ton talent. Tu l’as senti alors aussi fortement que maintenant. Mais tu ne savais pas ce qui se passait en toi. Tu ne pouvais pas vivre dans la maison du propriétaire, et tu ne savais toi-même ce que tu désirais. Ton maître est mort trop tôt. Il t’a laissé seulement avec des aspirations vagues et, surtout, il ne t’a pas expliqué toimême. Tu sentais le besoin d’une autre route plus large, tu pressentais que d’autres buts t’étaient destinés, mais tu ne comprenais pas comment tout cela se ferait et, dans ton angoisse, tu as haï tout ce qui t’entourait alors. Tes six années de misère ne sont pas perdues. Tu as travaillé, pensé, tu as reconnu et toi-même et tes forces ; tu comprends maintenant l’art et ta destination. Mon ami, il faut avoir de la patience et du courage. Un sort plus envié que le mien t’est réservé. Tu es cent fois plus artiste que moi, mais que Dieu te donne même la dixième partie de ma patience. Travaille, ne bois pas, comme te le disait ton bonpropriétaire, et, principalement, commence par l’a, b, c. « Qu’est-ce qui te tourmente ? La pauvreté, la misère ? Mais la pauvreté et la misère forment l’artiste. Elles sont inséparables des débuts. Maintenant personne n’a encore besoin de toi ; personne ne veut te connaître. Ainsi va le monde. Attends, ce sera autre chose quand on saura que tu as du talent. L’envie, la malignité, et surtout la bêtise t’opprimeront plus fortement que la misère. Le talent a besoin de sympathie ; il faut qu’on le comprenne. Et toi, tu verras quelles gens t’entoureront quand tu approcheras du but. Ils tâcheront de regarder avec mépris ce qui s’est élaboré en toi au prix d’un pénible travail, des privations, des nuits sans sommeil. Tes futurs camarades ne t’encourageront pas, ne te consoleront pas. Ils ne t’indiqueront pas ce qui en toi est bon et vrai. Avec une joie maligne ils relèveront chacune de tes fautes. Ils te montreront précisément ce qu’il y a de mauvais en toi, ce en quoi tu te trompes, et d’un air calme et méprisant ils fêteront joyeusement chacune de tes erreurs. Toi, tu esorgueilleux et souvent à tort. Il t’arrivera d’offenser une nullité qui a de l’amour-propre, et alors malheur à toi : tu seras seul et ils seront plusieurs. Ils te tueront à coups d’épingles. Moi même, je commence à éprouver tout cela. Prends donc des forces dès maintenant. Tu n’es pas encore si pauvre. Tu peux encore vivre ; ne néglige pas les besognes grossières, fends du bois, comme je l’ai fait un soir chez de pauvres gens. Mais tu es impatient ; l’impatience est ta maladie. Tu n’as pas assez de simplicité ; tu ruses trop, tu réfléchis trop, tu fais trop travailler ta tête. Tu es audacieux en paroles et lâche quand il faut prendra l’archet en main. Tu as beaucoup d’amour-propre et peu de hardiesse. Sois plus hardi, attends, apprends, et si tu ne comptes pas sur tes forces, alors va au hasard ; tu as de la chaleur, du sentiment, peut-être arriveras-tu au but. Sinon, va quand même au hasard. En tout cas tu ne perdras rien, si le gain est trop grand. Vois-tu, aussi, le hasard pour nous est une grande chose. »”

Fyodor Dostoevsky
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“Corto à lui même: Ce serait bon de vivre dans une fable.Bouche Dorée à Corto: Oh oui!… Mais toi tu vis continuellement une fable et tu ne t'en aperçois plus. Lorsqu'un adulte entre dans le monde des fables, il ne peut plus en sortir. Le savais-tu?”

Hugo Pratt
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“As-tu déjà été amoureux? C'est horrible non? Ca rend si vulnérable. Ca t'ouvre la poitrine et le coeur en grand et du coup, n'importe qui peut venir te bousiller de l'intérieur. On se forge des défenses, on se fabrique une belle armure pour que rien ne puisse jamais nous atteindre, et voilà qu'un imbécile, pas bien différent des autres s'immisce dans notre imbécile de vie... On lui offre un morceau de soi alors que l'autre n'a rien demandé. Il a juste fait un truc débile un jour, genre t'embrasser ou te sourire, mais, depuis, ta vie ne t'appartient plus. L'amour te prend en otage. Il s'insinue en toi. Il te dévore de l'intérieur et te laisse tout seul à chialer dans le noir, au point qu'un simple phrase comme "je crois qu'on devrait rester amis" te fait l'effet d'un éclat de verre qu'on t'aurait planté dans le coeur. Ca fait mal. Pas juste dans ton imagination. Pas juste dans ta tête. C'est une douleur à fendre l'âme, qui s'incruste en toi et te déchire du dedans. Je hais l'amour.”

Neil Gaiman
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“Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu’il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison ; car, à moins qu'il n’apporte dans sa lecture une logique rigoureuse et une tension d’esprit égale au moins à sa défiance, les émanations mortelles de ce livre imbiberont son âme comme l’eau le sucre. Il n’est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre ; quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger. Par conséquent, âme timide, avant de pénétrer plus loin dans de pareilles landes inexplorées, dirige tes talons en arrière et non en avant. Écoute bien ce que je te dis : dirige tes talons en arrière et non en avant.”

Lautreamont
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“Tu viens d'incendier la Bibliothèque ? - Oui.J'ai mis le feu là.- Mais c'est un crime inouï !Crime commis par toi contre toi-même, infâme !Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler !Ce que ta rage impie et folle ose brûler,C'est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritageLe livre, hostile au maître, est à ton avantage.Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.Une bibliothèque est un acte de foiDes générations ténébreuses encoreQui rendent dans la nuit témoignage à l'aurore.Quoi! dans ce vénérable amas des vérités,Dans ces chefs-d'oeuvre pleins de foudre et de clartés,Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,Dans les siècles, dans l'homme antique, dans l'histoire,Dans le passé, leçon qu'épelle l'avenir,Dans ce qui commença pour ne jamais finir,Dans les poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles,Dans le divin monceau des Eschyles terribles,Des Homères, des jobs, debout sur l'horizon,Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,Tu jettes, misérable, une torche enflammée !De tout l'esprit humain tu fais de la fumée !As-tu donc oublié que ton libérateur,C'est le livre ? Le livre est là sur la hauteur;Il luit; parce qu'il brille et qu'il les illumine,Il détruit l'échafaud, la guerre, la famineIl parle, plus d'esclave et plus de paria.Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou CorneilleL'âme immense qu'ils ont en eux, en toi s'éveille ;Ébloui, tu te sens le même homme qu'eux tous ;Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,Ils t'enseignent ainsi que l'aube éclaire un cloîtreÀ mesure qu'il plonge en ton coeur plus avant,Leur chaud rayon t'apaise et te fait plus vivant ;Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre,Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !Car la science en l'homme arrive la première.Puis vient la liberté. Toute cette lumière,C'est à toi comprends donc, et c'est toi qui l'éteins !Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.Le livre en ta pensée entre, il défait en elleLes liens que l'erreur à la vérité mêle,Car toute conscience est un noeud gordien.Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l'ôte.Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !Le livre est ta richesse à toi ! c'est le savoir,Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,Le progrès, la raison dissipant tout délire.Et tu détruis cela, toi ! - Je ne sais pas lire.”

Victor Hugo
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