“Puis elle s’avisa que la lettre pourrait être utile, la défroissa soigneusement sur son couvre—pied et la relut en se rongeant les ongles. Quand elle eut une bonne demi—douzaine de rognures, elle les rassembla entre le pouce et l’index, défit le pommeau de cuivre d’un montant de son lit et les laissa tomber dedans, l’air grave et solennel. Depuis une cinquantaine d’années, elle accumulait ainsi ses rognures et avait déjà rempli les deux montants du pied. C’était une des rares et modesres joies de son existence solitaire que de se figurer en esprit de temps à autre la masse qu’elles formeraient si on les rassemblait dans un seau. (chapitre 28)”

Yves Beauchemin

Yves Beauchemin - “Puis elle s’avisa que la lettre...” 1

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“C’était une femme originale et solitaire. Elle entretenait un commerce étroit avec les esprits, épousait leurs querelles et refusait de voir certaines personnes de sa famille mal considérées dans le monde où elle se réfugiait.Un petit héritage lui échut qui venait de sa soeur. Ces cinq mille francs, arrivés à la fin d’une vie, se révélèrent assez encombrants. Il fallait les placer. Si presque tous les hommes sont capables de se servir d’une grosse fortune, la difficulté commence quand la somme est petite. Cette femme resta fidèle à elle-même. Près de la mort, elle voulut abriter ses vieux os. Une véritable occasion s’offrait à elle. Au cimetière de sa ville, une concession venait d’expirer et, sur ce terrain, les propriétaires avaient érigé un somptueux caveau, sobre de lignes, en marbre noir, un vrai trésor à tout dire, qu’on lui laissait pourla somme de quatre mille francs. Elle acheta ce caveau. C’était là une valeur sûre, à l’abri des fluctuations boursières et des événements politiques. Elle fit aménager la fosse intérieure, la tint prête à recevoir son propre corps. Et, tout achevé, elle fit graver son nom en capitales d’or.Cette affaire la contenta si profondément qu’elle fut prise d’un véritable amour pour son tombeau. Elle venait voir au début les progrès des travaux Elle finit par se rendre visite tous les dimanches après-midi. Ce fut son unique sortie et sa seule distraction. Vers deux heures de l’après-midi, elle faisait le long trajet qui l’amenait aux portes de la ville où se trouvait le cimetière. Elle entrait dans le petit caveau, refermait soigneusement la porte, et s’agenouillait sur le prie-Dieu. C’est ainsi que, mise en présence d’elle-même, confrontant ce qu’elle était et ce qu’elle devait être, retrouvant l’anneau d’une chaîne toujours rompue, elle perça sans effort les desseins secrets de la Providence. Par un singulier symbole, elle comprit même un jour qu’elle était morte aux yeux du monde. À la Toussaint, arrivée plus tard que d’habitude, elle trouva le pas de la porte pieusement jonché de violettes. Par une délicate attention, des inconnus compatissants devant cette tombe laissée sans fleurs, avaient partagé les leurs et honoré la mémoire de ce mort abandonné à lui-même.”

Albert Camus
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“Dans les épaisseurs de la nuit sèche et froide, des milliers d'étoiles se formaient sans trêve et leurs glaçons étincelants, aussitôt détachés, commençaient de glisser insensiblement vers l'horizon. Janine ne pouvait s'arracher à la contemplation de ces feux à la dérive. Elle tournait avec eux et le même cheminement immobile la réunissait peu à peu à son être le plus profond, où le froid et le désir maintenant se combattaient. Devant elle, les étoiles tombaient, une à une, puis s'éteignaient parmi les pierres du désert, et à chaque fois Janine s'ouvrait un peu plus à la nuit. Elle respirait, elle oubliait le froid, le poids des êtres, la vie démente ou figée, la longue angoisse de vivre et de mourir.”

Albert Camus
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“Fin de l'Histoire (...) La panne du négatif, la fin de la dialectique, le renoncement au labeur technicien et à son inlassable souci de métamorphoser le donné, annonçaient-ils une humanité oisive mais heureuse, presque opulente, qui, en échange de son désir, de sa passion de la reconnaissance et des rivalités mimétiques qui allaient avec, se voyait libérée de ce que Marx appelait "le royaume de la nécessité" et, donc, de ses besoins ? Elle signifie, ici, une terre en friche et vouée à la vermine, les récoltes qui pourrissent, la fange dans les champs, les hommes affamés - elle signifie, non plus l'oisiveté, mais la misère : non plus l'opulence, mais le dénuement ; non plus la satisfaction mais l'empire absolu du besoin.(ch. 25 Hegel et Kojève africains)”

Bernard-Henri Levy
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“Nous savions que si l'intelligence du texte est une rude et solitaire conquête de l'esprit, la blague stupide établit, elle, une connivence reposante qui ne se partage qu'entre amis de confiance. C'est avec nos intimes que nous échangeons les histoires les plus bêtes, façon de rendre un hommage implicite à la finesse de leur esprit. Avec les autres, on fait les malins, on déballe son savoir, on en installe, on séduit.”

Daniel Pennac
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“Comme les cristaux et les étoiles, comme les cellules et les plantes, nos âmes aussi se divisent (...). de même que nous nous divisons, nous nous retrouvons. Et ces retrouvailles se nomment l'Amour. Car lorsqu'une âme se divise, elle se divise toujours en une partie masculine et une partie fémnine. C'est expliqué ainsi dans le livre de la Genèse: l'âme d'Adam est divisée, et Eve est née de lui. (...). Dans chaque vie, nous avons la mystérieuse obligation de retrouver, au moins, une de ces Autres Parties. Le Grand Amour, qui les a séparées, se réjouit de l'Amour qui les réunit. - Et comment puis-je savoir que c'est mon Autre Partie?- En prenant des risques. En courant le risque de l'échec, des déceptions, des désillusions, mais en ne cessant jamais de chercher l'Amour. Celui qui ne renonce pas à cette quête est gagnant.”

Paulo Coelho
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