“Il est possible qu'à des époques antérieures, où les ours étaient nombreux, la virilité ait pu jouer un rôle spécifique et irremplaçable; mais depuis quelques siècles, les hommes ne servaient visiblement à peu près plus à rien. Ils trompaient parfois leur ennui en faisant des parties de tennis, ce qui étaient un moindre mal; mais parfois aussi ils estimaient utile de faire avancer l'histoire, c'est-à-dire essentiellement de provoquer des révolutions et des guerres. Outre les souffrances absurdes qu'elles provoquaient, les révolutions et les guerres détruisaient le meilleurs du passé, obligeant à chaque fois à faire table rase pour rebâtir. Non inscrite dans le cours régulier d'une ascension progressive, l'évolution humaine acquérait ainsi un tour chaotique, déstructuré, irrégulier et violent. Tout cela les hommes (avec leur goût du risque et du jeu, leur vanité grotesque, leur irresponsabilité, leur violence foncière) en étaient directement et exclusivement responsables. Un monde composé de femmes serait à tous points de vue infiniment supérieur; il évoluerait plus lentement, mais avec régularité, sans retours en arriêre et sans remises en cause néfastes, vers un état de bonheur commun.”

MICHEL HOUELLEBECK

MICHEL HOUELLEBECK - “Il est possible qu'à des époques...” 1

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“Faut-il regretter le temps des guerres "à sens" ? souhaiter que les guerres d'aujourd'hui "retrouvent" leur sens perdu ? le monde irait-il mieux, moins bien, indifféremment, si les guerres avaient, comme jadis, ce sens qui les justifiait ? Une part de moi, celle qui a la nostalgie des guerres de résistance et des guerres antifascistes, a tendance à dire : oui, bien sûr ; rien n'est plus navrant que la guerre aveugle et insensée ; la civilisation c'est quand les hommes, tant qu'à faire, savent à peu près pourquoi ils se combattent ; d'autant que, dans une guerre qui a du sens, quand les gens savent à peu près quel est leur but de guerre et quel est celui de leur adversaire, le temps de la raison, de la négociation, de la transaction finit toujours par succéder à celui de la violence ; et d'autant (autre argument) que les guerres sensées sont aussi celles qui, par principe, sont les plus accessibles à la médiation, à l'intervention - ce sont les seules sur lesquelles des tiers, des arbitres, des observateurs engagés, peuvent espérer avoir quelque prise...Une autre part hésite. L'autre part de moi, celle qui soupçonne les guerres à sens d'être les plus sanglantes, celle qui tient la "machine à sens" pour une machine de servitude et le fait de donner un sens à ce qui n'en a pas, c'est-à-dire à la souffrance des hommes, pour un des tours les plus sournois par quoi le Diabolique nous tient, celle qui sait, en un mot, qu'on n'envoie jamais mieux les pauvres gens au casse-pipe qu'en leur racontant qu'ils participent d'une grande aventure ou travaillent à se sauver, cette part-là, donc, répond : "non ; le pire c'était le sens"; le pire c'est, comme disait Blanchot, "que le désastre prenne sens au lieu de prendre corps" ; le pire, le plus terrible, c'est d'habiller de sens le pur insensé de la guerre ; pas question de regretter, non, le "temps maudit du sens". (ch. 10De l'insensé, encore)”

Bernard-Henri Levy
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“Certains jours, travaillant aux Mystères de messieurs, j'avais envie d'alléger la planète des neuf dixièmes de ses phallophores - qui, par leur insécurité permanente, leur incertitude d'être (Pour qui tu te prends ? phrase masculine par excellence), leur passion pour les armes, leur rivalité, leur goût du pouvoir, leurs bagarres et magouilles de toutes sortes, conduisent notre espèce droit à l'extinction, d'autres jours au contraire j'avais envie de les remercier à genoux car ils ont inventé la roue et le canoë, l'alphabet et l'appareil photo, élaboré les sciences composé les musiques écrit les livres peint les tableaux bâti les palais les églises les mosquées les ponts les barrages et les routes, travaillé sans compter, durement et modestement, déployant leur force, leur patience, leur énergie et leur savoir-faire dans les champs de mine usines ateliers bibliothèques universités et laboratoires du monde entier. Oh ! hommes merveilleux, anonymes et innombrables, souffrant et vous dévouant, jour après jour, siècle après siècle pour nous faire vivre un peu mieux, avec un peu plus de confort et de beauté et de sens... que je vous aime !”

Nancy Huston
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“autrefois, il y avait des galeries aux maisons. Et quelque-fois, les gens restaient assis, tard dans la nuit, bavardant s'ils en avaient envie, se balançant dans leurs fauteuils, silencieux s'ils n'éprouvaient pas le besoin de parler. parfois, ils restaient là, tranquillement, à réfléchir à ruminer. Mon oncle dit que les architectes ont supprimé les galeries pour des raisons d'esthétique. Mais mon oncle dit que c'est un prétexte, rien de plus; la véritable raison, cachée en dessous, c'est qu'on ne voulait pas voir des gens passer des heures assis à ne rien faire, à se balancer, à discuter; c'était une forme détestable de vie en commun. Les gens parlaient trop. Et ils avaient le temps de penser. Alors on a détruit les galeries. Et les jardins, aussi. Il ne reste presque plus de jardins...Et voyez les mobiliers. Plus de rocking-chairs. Ils sont trop confortables. Il faut obliger les gens à courir, à prendre de l'exercise.”

Ray Bradbury
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“Les tentatives faites pour connaître la richesse et l'originalité des cultures humaines, et pour les réduire à l'état de répliques inégalement arriérées de la civilisation occidentale, se heurtent à une autre difficulté, qui est beaucoup plus profonde : en gros (et exception faite de l'Amérique, sur laquelle nous allons revenir), toutes les sociétés humaines ont derrière elles un passé qui est approximativement du même ordre de grandeur. Pour traiter certaines sociétés comme des "étapes" du développement de certaines autres, il faudrait admettre qu'alors que, pour ces dernières, il se passait quelque chose, pour celles-là il ne se passait rien - ou fort peu de choses. Et en effet, on parle volontiers des "peuples sans histoire" (pour dire parfois que ce sont les plus heureux). Cette formule elliptique signifie seulement que leur histoire est et restera inconnue, mais non qu'elle n'existe pas. Pendant des dizaines et même des centaines de millénaires, là-bas aussi, il y a eu des hommes qui ont aimé, haï, souffert, inventé, combattu. En vérité, il n'existe pas de peuples enfants ; tous sont adultes, même ceux qui n'ont pas tenu le journal de leur enfance et de leur adolescence. (p. 24-25)”

Claude Levi-Strauss
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“c'est (...) l'un des paradoxes de cette guerre : le côté irréprochable du gouvernement de Colombo qui, dans les zones qu'il a perdues, et ne serait-ce que pour ne pas s'avouer vaincu et avoir à prendre acte de la sécession, continue d'assurer les services publics, de payer les fonctionnaires, fussent-ils désignés par les Tigres et à leur botte.”

Bernard-Henri Levy
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